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« offrirez 100,000 francs de ma part, et vous lui demanderez chez quel banquier ou chez quel notaire il veut que je lui fasse compter 300,000 francs, dans le cas où il perdrait son commandement.»

« Je m’arrêtai, l’indignation me gagnant ; je tournai le feuillet, et je vis que la lettre était signée : Louis-Napoléon. »

… « Je remis cette lettre au commandant, en lui disant que c’était un parti ridicule et perdu. »

Qui parle ainsi ? le général Magnan. Où ? en pleine cour des pairs. Devant qui ? Quel est l’homme assis sur la sellette, l’homme que Magnan couvre de « ridicule », l’homme vers lequel Magnan tourne sa face « indignée » ? Louis Bonaparte.

L’argent, et avec l’argent l’orgie, ce fut là son moyen d’action dans ses trois entreprises, à Strasbourg, à Boulogne, à Paris. Deux avortements, un succès. Magnan, qui se refusa à Boulogne, se vendit à Paris. Si Louis Bonaparte avait été vaincu le 2 décembre, de même qu’on avait trouvé sur lui, à Boulogne, les cinq cent mille francs de Londres, on aurait trouvé à l’Élysée les vingt-cinq millions de la Banque.

Il y a donc eu en France, il faut en venir à parler froidement de ces choses, en France, dans ce pays de l’épée, dans ce pays des chevaliers, dans ce pays de Hoche, de Drouot et de Bayard, il y a eu un jour où un homme, entouré de cinq ou six grecs politiques, experts en guets-apens et maquignons de coups d’État, accoudé dans un cabinet doré, les pieds sur les chenets, le cigare à la bouche, a tarifé l’honneur militaire, l’a pesé dans un trébuchet comme denrée, comme chose vendable et achetable, a estimé le général un million et le soldat un louis, et a dit de la conscience de l’armée française : cela vaut tant.

Et cet homme est le neveu de l’empereur.

Du reste, ce neveu n’est pas superbe ; il sait s’accommoder aux nécessités de ses aventures, et il prend facilement et sans révolte le pli quelconque de la destinée. Mettez-le à Londres, et qu’il ait intérêt à complaire au gouvernement anglais, il n’hésitera point, et de cette même main qui veut saisir le sceptre de Charlemagne, il empoignera le bâton du policeman. Si je n’étais Napoléon, je voudrais être Vidocq.

Et maintenant la pensée s’arrête.

Et voilà par quel homme la France est gouvernée ! Que dis-je, gouvernée ? possédée souverainement !

Et chaque jour, et tous les matins, par ses décrets, par ses messages, par ses harangues, par toutes les fatuités inouïes qu’il étale dans le Moniteur, cet émigré, qui ne connaît pas la France, fait la leçon à la France ! et ce faquin dit à la France qu’il l’a sauvée ! Et de qui ? d’elle-même ! Avant lui la pro-