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dz forfaiture les chefs militaires, nous mettrons hors la loi en masse tout ce crime et tous ces criminels, nous appellerons les citoyens aux armes, nous rappellerons l’armée au devoir, nous nous dresserons debout en face de Louis Bonaparte, terribles comme la République vivante, nous le combattrons d’une main avec la force de la loi, de l’autre avec la force du peuple, nous foudroierons ce révolté misérable, et nous nous dresserons au-dessus de sa tête à la fois comme un grand pouvoir régulier et comme un grand pouvoir révolutionnaire !

Tout en parlant je m’enivrais de ma propre idée. Mon enthousiasme se communiqua à la réunion. On m’acclama. Je m’aperçus que j’allais un peu loin dans l’espérance, que je me laissais entraîner et que je les entraînais, et que je leur présentais le succès comme possible, presque comme facile, dans un moment où il importait que personne ne se fît illusion. La vérité était sombre, et il était de mon devoir de la dire. Je laissai le silence se rétablir, et je fis signe de la main que j’avais un dernier mot à ajouter ; je repris alors, en baissant la voix :

— Ecoutez, rendez-vous bien compte de ce que vous faites. D’un côté, cent mille hommes, dix-sept batteries attelées, six mille bouches à feu dans les forts, des magasins, des arsenaux, des munitions de quoi faire la campagne de Russie ; de l’autre, cent vingt représentants, mille ou douze cents patriotes, six cents fusils, deux cartouches par homme, pas un tambour pour battre le rappel, pas un clocher pour sonner le tocsin, pas une imprimerie pour imprimer une proclamation ; à peine çà et là une presse lithographique, une cave où on imprimera en bâte et furtivement un placard à la brosse ; peine de mort contre qui remuera un pavé, peine de mort contre qui s’attroupera, peine de mort contre qui sera trouvé en conciliabule, peine de mort contre qui placardera un appel aux armes ; si vous êtes pris pendant le combat, la mort ; si vous êtes pris après le combat, la déportation ou l’exil ; d’un côté une armée, et le crime ; de l’autre une poignée d’hommes, et le droit. Voilà cette lutte. L’acceptez-vous ?

Un cri unanime me répondit : — Oui ! oui !

Ce cri ne sortait pas des bouches, il sortait des âmes. Baudin, toujours assis à côté de moi, me serra la main en silence.

On convint donc immédiatement qu’on se retrouverait le lendemain mercredi, entre neuf et dix heures du matin, à la salle Roysin, qu’on y arriverait isolément ou par petits groupes séparés, et qu’on avertirait de ce rendez-vous les absents. Cela fait, il ne restait plus qu’à se séparer. Il pouvait être environ minuit.

Un des éclaireurs de Cournet entra. — Citoyens représentants, dit-il, le bataillon n’est plus là. La rue est libre.