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xviii
LES REPRÉSENTANTS TRAQUÉS.

A l’angle de la rue du Faubourg Saint-Antoine, devant la boutique de l’épicier Pépin, à l’endroit même où se dressait à la hauteur de deux étages la gigantesque barricade de juin 1848, les décrets du matin étaient affichés, quelques hommes les examinaient quoiqu’il fît nuit noire et qu’on ne pût les lire, et une vieille femme disait : – Les vingt-cinq francs sont à bas. Tant mieux !

Quelques pas plus loin, j’entendis prononcer mon nom. Je me retournai. C’étaient Jules Favre, Bourzat, Lafon, Madier de Montjau et Michel (de Bourges) qui passaient. Je pris congé de la personne vaillante et dévouée qui avait bien voulu m’accompagner. Un fiacre passait, je l’y fis monter, et je rejoignis les cinq représentants. Ils venaient de la rue de Charonne. Ils avaient trouvé le local de l’association des ébénistes fermé. – Il n’y avait personne, me dit Madier de Montjau. Ces braves gens commencent à avoir un petit capital, ils ne veulent pas le compromettre, ils ont peur de nous, ils disent : Les coups d’État ne nous regardent pas, laissons faire ! – Cela ne m’étonne pas, lui répondis-je ; dans le moment où nous sommes, une association est un bourgeois.

— Où irons-nous ? demanda Jules Favre.

Lafon demeurait à deux pas de là, quai Jemmapes, n° 2. Il nous offrit son appartement, nous l’acceptâmes, et nous prîmes les mesures nécessaires pour faire prévenir les membres de la gauche que nous étions là.

Quelques instants après, nous étions installés chez Lafon, au quatrième étage d’une ancienne et haute maison. Cette maison a vu la prise de la Bastille.

On entrait dans cette maison par une porte bâtarde s’ouvrant sur le quai Jemmapes et donnant sur une cour étroite plus basse que le quai de quelques marches. Bourzat resta à cette porte pour nous avertir en cas d’événement et pour indiquer la maison aux représentants qui surviendraient.

En peu d’instants nous fûmes nombreux, et nous nous retrouvâmes à peu près tous ceux du matin, avec quelques-uns de plus. Lafon nous livra son salon dont les fenêtres donnaient sur des arrière-cours. Nous nous constituâmes une espèce de bureau et nous prîmes place, Jules Favre, Carnot, Michel et moi, à une grande table éclairée de deux bougies et placée devant la cheminée. Les représentants et les assistants siégeaient à l’entour sur des chaises et des fauteuils. Un groupe debout obstruait la porte.