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contenait les spectateurs. Dans l’espace laissé libre au milieu, les membres de l’Assemblée s’avançaient lentement ayant à droite et à gauche deux haies de soldats, l’une immobile qui menaçait le peuple, l’autre en marche qui menaçait les représentants.

Les réflexions sérieuses abondent en présence de tous les détails du grand crime que ce livre est destiné à raconter. Tout homme honnête qui se met en face du coup d’État de Louis Bonaparte n’entend au dedans de sa conscience qu’une rumeur de pensées indignées. Quiconque nous lira jusqu’au bout ne nous supposera assurément pas l’idée d’atténuer ce fait monstrueux. Cependant, comme la profonde logique des faits doit toujours être soulignée par l’historien, il est nécessaire de rappeler ici et de répéter, fût-ce à satiété, que, à part les membres de la gauche présents en petit nombre et que nous avons nommés, les trois cents représentants qui défilaient de la sorte sous les yeux de la foule constituaient la vieille majorité royaliste et réactionnaire de l’Assemblée. S’il était possible d’oublier que, quelles que fussent leurs erreurs, quelles que fussent leurs fautes, et nous y insistons, quelles qu’eussent été leurs illusions, ces personnages ainsi traités étaient des représentants de la première des nations civilisées, des législateurs souverains, des sénateurs du peuple, des mandataires inviolables et sacrés du grand droit démocratique, et que, de même que chaque homme porte en soi quelque chose de l’esprit de Dieu, chacun de ces élus du suffrage universel portait quelque chose de l’âme de la France ; s’il était possible d’oublier cela un moment, ce serait, certes, un spectacle plus risible peut-être que triste et à coup sûr plus philosophique que lamentable, de voir, dans cette matinée de décembre, après tant de lois de compression, après tant de mesures d’exception, après tant de votes de censure et d’état de siège, après tant de refus d’amnistie, après tant d’affronts à l’équité, à la justice, à la conscience humaine, à la bonne foi publique, au droit, après tant de complaisances pour la police, après tant de sourires à l’arbitraire, le parti de l’ordre tout entier appréhendé en masse et mené au poste par les sergents de ville !

Un jour, ou pour mieux dire une nuit, le moment étant venu de sauver la société, le coup d’État empoigne brusquement les démagogues, et il se trouve qu’il tient au collet, qui ? les royalistes.

On arriva à la caserne, autrefois caserne des gardes du corps, et sur le fronton de laquelle on voit un écusson sculpté où se distingue encore la trace des trois fleurs de lys effacées en 1830. On fit halte. La porte s’ouvrit. – Tiens, dit M. de Broglie, c’est ici.

On pouvait lire en ce moment-là, sur le mur de la caserne, et à côté de la porte, une grande affiche portant en grosses lettres : RÉVISION DE LA CONSTITUTION.