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disait à demi-voix : – Cette petite infanterie est terrible, au siège de Rome ils mordaient à l’assaut comme des furieux ; ces gamins sont des diables. – Les officiers évitaient les regards des représentants. En sortant de la mairie, M. de Coislin passa près d’un officier et s’écria : – Quelle honte pour l’uniforme ! – L’officier répondit par des paroles de colère et provoqua M. de Coislin. Quelques instants après, pendant la marche, il s’approcha de M. de Coislin et lui dit : – Tenez, monsieur, j’ai réfléchi, c’est moi qui ai tort.

On cheminait lentement. A quelques pas de la mairie le cortège rencontra M. Chégaray. Les représentants lui crièrent : Venez ! Il répondit en faisant des mains et des épaules un geste expressif : – Oh ! ma foi ! puisqu’on ne m’a pas pris !… – et fit mine de passer outre. Il eut honte pourtant, et vint. On trouve son nom dans l’appel fait à la caserne.

Un peu plus loin, c’était M. de Lespérut qui passait. On lui crie : Lespérut ! Lespérut ! – Je suis des vôtres, dit-il. Les soldats le repoussaient. Il saisit les crosses des fusils et entra de force dans la colonne.

Dans une des rues qu’on traversa, une fenêtre s’ouvrit. Tout à coup une femme y parut, avec un enfant L’enfant, reconnaissant son père parmi les prisonniers, lui tendait les bras et l’appelait ; la mère, derrière l’enfant, pleurait.

On avait d’abord eu l’idée de mener l’Assemblée en masse et directement à Mazas ; mais le ministère de l’intérieur donna contre-ordre. On craignit ce long trajet à pied, en plein jour, dans des rues populeuses et facilement émues ; on avait sous la main la caserne d’Orsay. On la choisit pour geôle provisoire.

Un des commandants montrait insolemment de l’épée aux passants les représentants arrêtés, et disait à voix haute : – Ceux-ci sont les blancs, nous avons l’ordre de les épargner. Maintenant c’est le tour de messieurs les représentants rouges. Gare à eux !

Partout où passait le cortège, des trottoirs, des portes, des fenêtres, la population criait : Vive l’Assemblée nationale ! Quand on apercevait les quelques représentants de la gauche mêlés à la colonne, on criait : Vive la République ! vive la Constitution ! vive la loi ! Les boutiques n’étaient pas fermées, et les passants allaient et venaient. Quelques-uns disaient : – Attendons à ce soir, ceci n’est pas la fin.

Un officier d’état-major à cheval, en grande tenue, rencontra le cortège, aperçut M. de Vatimesnil et vint le saluer. Rue de Beaune, au moment où l’on passait devant la maison de la Démocratie pacifique, un groupe cria : A bas le traître de l’Élysée !

Sur le quai d’Orsay, les cris redoublèrent. Il y avait foule. Des deux côtés du quai, un double rang de soldats de la ligne, se touchant coude à coude,