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Pendant ce temps-là, quelques représentants, assis autour d’une table de la grande salle, écrivirent à leurs familles, à leurs femmes, à leurs amis. On s’arrachait les dernières feuilles de papier ; les plumes manquaient ; M. de Luynes écrivit à sa femme un billet au crayon. Il n’y avait pas de pains à cacheter, on était forcé d’envoyer les lettres ouvertes ; quelques soldats s’offrirent pour les mettre à la poste. Le fils de M. Chambolle, qui avait accompagné son père jusque-là, se chargea de porter les lettres adressées à Mmes de Luynes, de Lasteyrie et Duvergier de Hauranne.

Le général F., le même qui avait refusé un bataillon au président de la Constituante Marrast, ce qui de colonel l’avait fait général, le général F., au milieu de la cour de la mairie, la face enluminée, à demi ivre, sortant, disait-on, de déjeuner à l’Elysée, présidait à l’attentat. Un membre, dont nous regrettons de ne pas savoir le nom, trempa sa botte dans le ruisseau et l’essuya le long du galon d’or du pantalon d’uniforme du général F. Le représentant Lherbette vint au général F. et lui dit : – Général, vous êtes un lâche. Puis, se retournant vers ses collègues, il cria : – Entendez-vous, je dis à ce général qu’il est un lâche. Le général F. ne bougea pas. Il garda la boue sur son uniforme, et l’épithète sur sa joue.

Le réunion n’appela pas le peuple aux armes. Nous venons d’expliquer qu’elle n’était pas de force à le faire. Pourtant, au dernier moment, un membre de la gauche, Latrade, fit un nouvel effort. Il prit à part M. Berryer et lui dit : – L’acte de résistance est consommé ; maintenant ne nous laissons pas arrêter. Dispersons-nous dans les rues en criant : Aux armes ! – M. Berryer en conféra quelques secondes avec le vice-président Benoist d’Azy, qui refusa.

L’adjoint reconduisit les membres de l’Assemblée jusqu’à la porte de la mairie, chapeau bas ; au moment où ils parurent dans la cour, prêts à sortir, entre deux haies de soldats, les gardes nationaux du poste présentèrent les armes en criant : Vive l’Assemblée ! vivent les représentants du peuple ! On fit désarmer immédiatement les gardes nationaux, et presque de force, par les chasseurs de Vincennes.

Il y avait un marchand de vin en face de la mairie. Lorsque la grande porte de la mairie s’ouvrit à deux battants et que l’Assemblée parut dans la rue, menée par le général F. à cheval, et ayant en tête le vice-président Vitet empoigné à la cravate par un agent de police, quelques hommes en blouses blanches, groupés aux fenêtres de ce marchand de vin, battirent des mains et crièrent : – C’est bien fait ! à bas les vingt-cinq francs !

On se mit en route.

Les chasseurs de Vincennes, qui marchaient en double haie des deux côtés des prisonniers, leur jetaient des regards de haine. Le général Oudinot