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faire silence. Puis les clameurs irritées recommençaient. — Le coup d’État n’osera pas venir jusqu’ici ! Nous sommes ici les maîtres. Nous sommes chez nous. Nous attaquer ici, c’est impossible. Ces misérables n’oseront pas ! – Si la rumeur eût été moins violente, les représentants eussent pu, à travers les fenêtres ouvertes, entendre, tout à côté d’eux, un bruit de soldats chargeant leurs fusils.

C’était un bataillon de chasseurs de Vincennes qui venait d’entrer silencieusement dans le jardin de la mairie, et qui, en attendant des ordres, chargeait ses armes.

Peu à peu la séance, d’abord confuse et troublée, avait pris un aspect régulier. La clameur était devenue un bourdonnement. La voix de l’huissier criant : Silence, messieurs ! avait fini par dominer le brouhaha. A tout moment de nouveaux représentants survenaient et s’empressaient d’aller signer sur le bureau le décret de déchéance. Comme il y avait foule autour du bureau pour signer, on fit circuler dans la grande salle et dans les deux autres pièces contiguës une douzaine de feuilles volantes sur lesquelles les représentants apposaient leur signature.

Le premier qui signa le décret de déchéance fut M. Dufaure, le dernier fut M. Betting de Lancastel. Des deux présidents, l’un, M. Benoist d’Azy, parlait à l’Assemblée, l’autre, M. Vitet, pâle, mais calme et ferme, distribuait les instructions et les ordres. M. Benoist d’Azy avait une contenance convenable ; mais une certaine hésitation de la parole révélait un trouble intérieur. Les divisions, même dans la droite, n’avaient pas disparu à ce moment critique. On entendait un membre légitimiste dire à demi-voix en parlant d’un des vice-présidents : Ce grand Vitet a l’air d’un sépulcre blanchi. Vitet était orléaniste.

Etant donné l’aventurier auquel on avait affaire, ce Louis Bonaparte capable de tout, l’heure et l’homme étant crépusculaires, quelques personnages légitimistes de l’espèce candide avaient une peur sérieuse, mais comique. Le marquis de ***, mouche du coche de la droite, allait, venait, pérorait, criait, déclamait, réclamait, proclamait, et tremblait. Un autre, M. A.-N., suant, rouge, essoufflé, se démenait éperdument : – Où est le poste ? Combien d’hommes ? Qui est-ce qui commande ? L’officier ! Envoyez-moi l’officier ! Vive la République ! Gardes nationaux, tenez bon ! – Vive la République ! Toute la droite poussait ce cri. – Vous voulez donc la faire mourir ! leur disait Esquiros. Quelques-uns étaient mornes ; Bourbousson gardait un silence d’homme d’État vaincu. Un autre, le vicomte de ***, parent du duc d’Escars, était si épouvanté qu’à chaque instant il s’en allait dans un angle de la cour. Il y avait là, dans la foule qui emplissait cette cour, un gamin de Paris, enfant d’Athènes, qui a été depuis un poëte