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s'écria Martin (de Strasbourg) ; monsieur le président, le salut de la République, le salut du pays dépend peut-être de ce que la Haute Cour fera ou ne fera pas. Votre responsabilité est considérable, songez-y. Quand on est la Haute Cour de justice, on ne fait pas son devoir aujourd’hui ou demain, on le fait tout de suite, sur l’heure, sans perdre une minute, sans hésiter un instant.

Martin (de Strasbourg) avait raison, la justice c’est toujours aujourd’hui.

Martin (de Strasbourg) ajouta : — S’il vous faut un homme pour les actes énergiques, je m’offre. — M. Hardouin déclina l’offre, affirma qu’il ne perdrait pas un moment, et pria Martin (de Strasbourg) de le laisser « conférer » avec son collègue M. Pataille.

Il convoqua en effet la Haute Cour pour onze heures, et il fut convenu qu’on se réunirait dans la salle de la bibliothèque.

Les juges furent exacts. À onze heures et quart ils étaient tous réunis. M. Pataille arriva le dernier.

Ils prirent séance au bout de la grande table verte. Ils étaient seuls dans la bibliothèque.

Nulle solennité. Le président Hardouin ouvrit ainsi la délibération : – Messieurs, il n’y a point à exposer la situation, tout le monde sait de quoi il s’agit.

L’article 68 de la Constitution était impérieux. Il avait fallu que la Haute Cour se réunît, sous peine de forfaiture. On gagna du temps, on se constitua, on nomma greffier de la Haute Cour M. Bernard, greffier en chef de la cour de cassation, on l’envoya chercher, et en l’attendant on pria le bibliothécaire, M. Denevers, de tenir la plume. On convint d’une heure et d’un lieu où l’on se réunirait le soir. On s’entretint de la démarche du constituant Martin (de Strasbourg), dont on se fâcha presque comme d’un coup de coude donné par la politique à la justice. On parla un peu du socialisme, de la montagne et de la république rouge, et un peu aussi de l’arrêt qu’on avait à prononcer. On causa, on conta, on blâma, on conjectura, on traîna. Qu’attendait-on ?

Nous avons raconté ce que le commissaire de police faisait de son côté.

Et, à ce propos, quand on songeait, parmi les complices du coup d’État, que le peuple pouvait, pour sommer la Haute Cour de faire son devoir, envahir le palais de justice, et que jamais il n’irait la chercher où elle était, on trouvait cette salle bien choisie ; mais quand on songeait que la police viendrait sans doute aussi pour chasser la Haute Cour et qu’elle ne parviendrait peut-être pas à la trouver, chacun déplorait à part soi le choix de la salle. On avait voulu cacher la Haute Cour, on y avait trop réussi. Il était doulou-