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sieur Baze, dit-il avec cette courtoisie de chiourme que les agents du coup d’État mêlaient volontiers à leur crime, vous êtes mal avec ces trois hommes dans ce fiacre, vous êtes gêné, montez avec moi. — Laissez-moi, dit le prisonnier, avec ces trois hommes je suis gêné, avec vous je serais souillé.

Une escorte d’infanterie se rangea des deux côtés du fiacre. Le colonel Espinasse cria au cocher : — Allez par le quai d’Orsay et au pas jusqu’à ce que vous rencontriez l’escorte de cavalerie ; quand les cavaliers prendront la conduite, les fantassins reviendront. — On partit.

Comme le fiacre tournait le quai d’Orsay, un piquet du 7e lanciers arrivait à toute bride : c’était l’escorte. Les cavaliers entourèrent le fiacre et l’on prit le galop.

Nul incident dans le trajet. Çà et là, au trot des chevaux, des fenêtres s’ouvraient, des têtes passaient, et le prisonnier, qui avait enfin réussi à baisser une vitre, entendait des voix effarées dire : — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le fiacre s’arrêta. — Où sommes-nous ? demanda M. Baze. — À Mazas, dit un sergent de ville.

Le questeur fut conduit au greffe. Au moment où il entrait, il en vit sortir Baune et Nadaud qu’on emmenait. Une table était au milieu, où vint s’asseoir le commissaire Primorin qui avait suivi le fiacre dans son coupé. Pendant que le commissaire écrivait, M. Baze remarqua sur la table un papier, qui était évidemment une note d’écrou, où étaient écrits dans l’ordre suivant les noms qu’on va lire : Lamoricière, Charras, Cavaignac, Changarnier, Le Flô, Thiers, Bedeau, Roger (du Nord). — C’était probablement l’ordre dans lequel ces représentants étaient arrivés à la prison.

Quand le sieur Primorin eut terminé ce qu’il écrivait :

— Maintenant, dit M. Baze, vous allez recevoir ma protestation et la joindre à votre procès-verbal. – Ce n’est pas un procès-verbal, objecta le commissaire, c’est un simple ordre d’envoi. – J’entends écrire ma protestation sur-le-champ, répliqua M. Baze. – Vous aurez le temps dans votre cellule, dit avec un sourire un homme qui se tenait debout près de la table. M. Baze se retourna : – Qui êtes-vous ? Je suis le directeur de la prison, dit l’homme. – En ce cas, reprit M. Baze, je vous plains, car vous connaissez le crime que vous commettez. L’homme pâlit et balbutia quelques mots inintelligibles. Le commissaire se levait ; M. Baze prit vivement son fauteuil, s’assit à la table, et dit au sieur Primorin : — Vous êtes officier public, je vous requiers de joindre ma protestation au procès-verbal. — Eh bien ! soit, dit le commissaire. M. Baze écrivit la protestation que voici : « Je soussigné, Jean-Didier Baze, représentant du peuple et questeur de l’Assemblée nationale, enlevé violemment de mon domicile au palais