Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le commissaire et les agents l’emmenèrent. Il dédaignait ces hommes de police et ne leur parlait pas ; mais quand il fut dans la cour, quand il vit des soldats, quand il reconnut le colonel Espinasse, son cœur militaire et breton se souleva.

— Colonel Espinasse, dit-il, vous êtes un infâme, et j’espère vivre assez pour arracher de votre habit vos boutons d’uniforme !

L’ex-colonel Espinasse baissa la tête et bégaya : Je ne vous connais pas.

Un chef de bataillon agita son épée en criant : Nous en avons assez des généraux avocats ! Quelques soldats croisèrent la bayonnette contre le prisonnier désarmé ; trois sergents de ville le poussèrent dans un fiacre, et un sous-lieutenant s’approchant de la voiture, regardant en face cet homme qui, s’il était citoyen, était son représentant, et s’il était soldat, était son général, lui jeta cette hideuse parole : Canaille !

De son côté le commissaire Primorin avait fait un détour pour surprendre plus sûrement l’autre questeur, M. Baze.

L’appartement de M. Baze avait une porte sur un couloir communiquant à la salle de l’Assemblée. C’est à cette porte que le sieur Primorin frappa. — Qui est là ? demanda une servante qui s’habillait. – Commissaire de police, répondit Primorin. La servante, croyant que c’était le commissaire de police de l’Assemblée, ouvrit.

En ce moment, M. Baze, qui avait entendu du bruit et qui venait de s’éveiller, passait une robe de chambre et criait : N’ouvrez pas.

Il achevait à peine qu’un homme en bourgeois et trois sergents de ville en uniforme faisaient irruption dans sa chambre. L’homme, entr’ouvrant son habit et montrant sa ceinture tricolore, dit à M. Baze : — Reconnaissez-vous ceci ? — Vous êtes un misérable, répondit le questeur.

Les agents mirent la main sur M. Baze. – Vous ne m’emmènerez pas ! dit-il ; vous commissaire de police, vous qui êtes magistrat et qui savez ce que vous faites, vous attentez à la représentation nationale, vous violez la loi, vous êtes un criminel ! — Une lutte s’engagea, corps à corps, de quatre contre un, Madame Baze et ses deux petites filles jetant des cris, la servante repoussée par les sergents de ville à coups de poing. — Vous êtes des brigands ! criait M. Baze. Ils l’emportèrent en l’air sur les bras, se débattant, nu, sa robe de chambre en lambeaux, le corps couvert de contusions, le poignet déchiré et saignant.

L’escalier, le rez-de-chaussée, la cour, étaient pleins de soldats, la bayonnette au fusil et l’arme au pied. Le questeur s’adressa à eux : — On arrête vos représentants ! Vous n’avez pas reçu vos armes pour briser les lois ! Un sergent avait une croix toute neuve : — Est-ce pour cela qu’on vous a donné la croix ? – Le sergent répondit : — Nous ne connaissons qu’un maître.