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pression bonapartiste hors de France. Les douaniers sont aux aguets, et les diplomates aussi. Nous ne parlons que pour mémoire de tout ce qui se fait en France pour empêcher le livre de se répandre, amendes, prisons, Cayenne, pénalités judiciaires et administratives, etc., etc. M. Bonaparte s’en prend même aux républiques : en Europe, c’est un ambassadeur, M. de Salignac-Fénelon, qui dénonce Napoléon-le-Petit à la diète suisse ; en Amérique, c’est un ministre de France, M. Levasseur, républicain de la veille, ancien carbonaro, qui menace le gouvernement mexicain s’il permet la vente du livre cauchemar. Napoléon-le-Petit est traqué partout, en Hollande, en Allemagne, en Italie, en Espagne, au nord comme au midi. Eh bien ! à quoi ont abouti ces immenses efforts ? Sans parler de l’édition originale, vendue, on le sait, à des nombres immenses, Napoléon-le-Petit a été contrefait, et reproduit, et traduit partout. Il y a une traduction en allemand, par l’ancien représentant Savoye ; une traduction en anglais, Napoléon the little, vendue, dit-on, à plus de 70,000 exemplaires ; une traduction en italien, une traduction en espagnol ; deux éditions dans l’Amérique du Nord, l’une en français, l’autre en allemand ; deux traductions dans l’Amérique du Sud, Napoléon el pequeño, Napoléon el chiquito ; ajoutez à cela les innombrables journaux dans toutes les langues qui ont reproduit Napoléon-le-Petit, les uns par fragments, les autres en entier, depuis Londres jusqu’à Calcutta, depuis Lima jusqu'à Québec ; et l’on peut calculer qu’à l’heure qu’il est, sans préjudice de l’avenir, le livre de Victor Hugo est déjà, en dépit de M. Bonaparte, répandu sous toutes les formes à plus d’un million d’exemplaires. Comprimez donc la pensée !

C’eût été bien en vain ; déjà à cette époque Napoléon-le-Petit était répandu à plus d’un million d’exemplaires, « sans préjudice de l’avenir », disait Victor Hugo. Il avait raison. En effet, la génération qui était née sous l’empire lisait le livre avec avidité ; il y avait déjà plus de dix ans qu’il était publié, et toute la jeunesse, au moment des élections de 1863, premier réveil de l’opinion, le connaissait et en récitait des passages. Le livre nous parvenait sur papier pelure, et passait de main en main ; il avait toute la saveur du fruit défendu.

Les fils des victimes du coup d’État avaient été élevés dans la haine de l’empire avec Napoléon-le-Petit et les Châtiments ; et c’est avec ces armes que les ennemis du régime impérial poursuivaient la revanche du droit, de la justice et de la liberté.

II
REVUE DE LA CRITIQUE.

On a lu dans quelles circonstances et dans quelles conditions a paru Napoléon-le-Petit. Puisqu’il était difficile de trouver un éditeur à l’étranger, on ne devait guère espérer qu’il se rencontrât, en 1852, un journal même pour annoncer la publication du livre.

En France, les journaux de l’opposition, condamnés au silence, devaient se borner à enregistrer les actes officiels sans les commenter, ainsi que le Siècle le constatait lui-même, à plus forte raison n’auraient-ils pas osé, sous peine de suppression, parler d’un livre de Victor Hugo contre Louis Bonaparte.

A l’étranger, les journaux étaient astreints à la plus absolue réserve, sous peine d’encourir les foudres de leur gouvernement ou de provoquer leur interdiction sur le territoire français. Là même où la liberté s’était réfugiée, la critique n’avait pas le droit de parler d’un livre sur la politique française.

Pour juger de l’influence toute-puissante que le gouvernement de Louis Bonaparte exerçait à l’étranger, nous repro-