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v
CE QU'A FAIT LA PROVIDENCE.

Mais la Providence, elle, s’y prend autrement. Elle met splendidement la chose sous vos yeux et vous dit : voyez.

Un homme vient un beau matin — et quel homme ! le premier venu, le dernier venu, sans passé, sans avenir, sans génie, sans gloire, sans prestige ; est-ce un aventurier ? est-ce un prince ? cet homme a tout bonnement les mains pleines d’argent, de billets de banque, d’actions de chemins de fer, de places, de décorations, de sinécures ; cet homme se baisse vers les fonctionnaires et leur dit : Fonctionnaires, trahissez.

Les fonctionnaires trahissent.

Tous ? Sans exception ?

Oui, tous.

Il s’adresse aux généraux et leur dit : Généraux, massacrez.

Les généraux massacrent.

Il se tourne vers les juges inamovibles, et leur dit : Magistrature, je brise la Constitution, je me parjure, je dissous l’Assemblée souveraine, j’arrête les représentants inviolables, je pille les caisses publiques, je séquestre, je confisque, je vole, j’escroque, je spolie, je bannis qui me déplaît, je déporte à ma fantaisie, je mitraille sans sommation, je fusille sans jugement, je commets tout ce qu’on est convenu d’appeler crime, je viole tout ce qu’on est convenu d’appeler droit ; regardez les lois, elles sont sous mes pieds.

— Nous ferons semblant de ne pas voir, disent les magistrats.

— Vous êtes des insolents, réplique l’homme providentiel. Détourner les yeux, c’est m’outrager. J’entends que vous m’aidiez. Juges, vous allez venir aujourd’hui me féliciter, moi qui suis la force et le crime, et demain, ceux qui m’ont résisté, ceux qui sont l’honneur, le droit, la loi, vous les jugerez — et vous les condamnerez.

Les juges inamovibles baisent sa botte et se mettent à instruire l’affaire des troubles.

Par-dessus le marché, ils lui prêtent serment.

Alors il aperçoit dans un coin le clergé doté, doré, crossé, chapé, mitré, et il lui dit : — Ah ! tu es là, toi, archevêque ! Viens ici. Tu vas me bénir tout cela.

Et l’archevêque entonne son Magnificat.