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ii
DIFFÉRENCE DES PRIX.


Et puis, à qui demande-t-on des serments ? À ce préfet ? il a trahi l’État. À ce général ? il a trahi le drapeau. À ce magistrat ? il a trahi la loi. À tous ces fonctionnaires ? ils ont trahi la République. Chose curieuse et qui fait rêver le philosophe, que ce tas de traîtres d’où sort ce tas de serments !

Donc, insistons sur cette beauté du 2 décembre : M. Bonaparte Louis croit aux serments des gens ! il croit aux serments qu’on lui prête à lui ! Quand M. Rouher ôte son gant et dit : je le jure ; quand M. Suin ôte son gant et dit : je le jure ; quand M. Troplong met la main sur sa poitrine à l’endroit où est le troisième bouton des sénateurs et le cœur des autres hommes, et dit : je le jure, M. Bonaparte se sent les larmes aux yeux, additionne, ému, toutes ces loyautés et contemple ces êtres avec attendrissement. Il se confie ! il croit ! O abîme de candeur ! En vérité, l’innocence des coquins cause parfois des éblouissements à l’honnête homme.

Une chose toutefois étonne l’observateur bienveillant et le fâche un peu, c’est la façon capricieuse et disproportionnée dont les serments sont payés, c’est l’inégalité des prix que M. Bonaparte met à cette marchandise. Par exemple M. Vidocq, s’il était encore chef du service de sûreté, aurait six mille francs de gages par an, M. Baroche en a quatre-vingt mille. Il suit de là que le serment de M. Vidocq ne lui rapporterait par jour que seize francs soixante-six centimes, tandis que le serment de M. Baroche rapporte par jour à M. Baroche deux cent vingt-deux francs vingt-deux centimes. Ceci est évidemment injuste. Pourquoi cette différence ? Un serment est un serment ; un serment se compose d’un gant ôté et de huit lettres. Qu’est-ce que le serment de M. Baroche a de plus que le serment de M. Vidocq ?

Vous me direz que cela tient à la diversité des fonctions ; que M. Baroche préside le conseil d’État et que M. Vidocq ne serait que chef du service de sûreté. Je réponds que ce sont là des hasards ; que M. Baroche excellerait probablement à diriger le service de sûreté et que M. Vidocq pourrait fort bien être président du conseil d’État. Ce n’est pas là une raison.

Y a-t-il donc des qualités diverses de serment ? Est-ce comme pour les messes ? Y a-t-il, là aussi, les messes à quarante sous et les messes à dix sous, lesquelles, comme disait ce curé, ne sont que « de la gnognotte » ? A-t-on du serment pour son argent ? Y a-t-il, dans cette denrée du serment, du superfin, de l’extra-fin, du fin et du demi-fin ? Les uns sont-ils mieux condi-