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Et s’il n’a pas scié ses victimes entre deux planches comme Christiern II, s’il n’a pas enfoui les gens en vie comme Lndovic-le-Maure, s’il n’a pas bâti les murs de son palais avec des hommes vivants et des pierres comme Timour-Beig, qui naquit, dit la légende, les mains fermées et pleines de sang ; s’il n’a pas ouvert le ventre aux femmes grosses comme César, duc de Valentinois, s’il n’a pas estrapadé les femmes par les seins, testibusque viros, comme Ferdinand de Tolède ; s’il n’a pas roué vif, brûlé vif, bouilli vif, écorché vif, crucifié, empalé, écartelé, ne vous en prenez pas à lui, ce n’est pas sa faute ; c’est que le siècle s’y refuse obstinément. Il a fait tout ce qui était humainement ou inhumainement possible. Le dix-neuvième siècle, siècle de douceur, siècle de décadence, comme disent les absolutistes et les papistes, étant donné, Louis Bonaparte a égalé en férocité ses contemporains Haynau, Radetzky, Filangieri, Schwartzenberg et Ferdinand de Naples, et les a dépassés même. Mérite rare, et dont il faut lui tenir compte comme d’une difficulté de plus : la scène s’est passée en France. Rendons-lui cette justice, au temps où nous sommes, Ludovic Sforce, le Valentinois, le duc d’Albe, Timour et Christiern II n’auraient rien fait de plus que Louis Bonaparte ; dans leur époque, il eût fait tout ce qu’ils ont fait ; dans la nôtre, au moment de construire et de dresser les gibets, les roues, les chevalets, les grues à estrapades, les tours vivantes, les croix et les bûchers, ils se seraient arrêtés comme lui, malgré eux et à leur insu, devant la résistance secrète et invincible du milieu moral, devant la force invisible du progrès accompli, devant le formidable et mystérieux refus de tout un siècle qui se lève, au nord, au midi, à l’orient, à l’occident, autour des tyrans, et qui leur dit non !