Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cents maîtres d’hôtel dans la tenue rigoureuse prescrite par le cérémonial de l’ancienne maison impériale.

À moins qu’un universel cri d’horreur n’arrête à temps cet homme, toutes ces têtes tomberont.

À l’heure où nous écrivons ceci, voici ce qui vient de se passer à Belley :

Un homme de Bugez près Belley, un ouvrier nommé Charlet, avait ardemment soutenu, au 10 décembre 1848, la candidature de Louis Bonaparte. Il avait distribué des bulletins, appuyé, propagé, colporté ; l’élection fut pour lui un triomphe ; il espérait en Louis-Napoléon, il prenait au sérieux les écrits socialistes de l’homme de Ham et ses programmes « humanitaires » et républicains ; au 10 décembre il y a eu beaucoup de ces dupes honnêtes ; ce sont aujourd’hui les plus indignés. Quand Louis Bonaparte fut au pouvoir, quand on vit l’homme à l’œuvre, les illusions s’évanouirent. Charlet, homme d’intelligence, fut un de ceux dont la probité républicaine se révolta, et peu à peu, à mesure que Louis Bonaparte s’enfonçait plus avant dans la réaction, Charlet se détachait de lui ; il passa ainsi de l’adhésion la plus confiante à l’opposition la plus loyale et la plus vive. C’est l’histoire de beaucoup d’autres nobles cœurs.

Au 2 décembre, Charlet n’hésita pas. En présence de tous les attentats réunis dans l’acte infâme de Louis Bonaparte, Charlet sentit la loi remuer en lui ; il se dit qu’il devait être d’autant plus sévère qu’il était un de ceux dont la confiance avait été le plus trahie. Il comprit clairement qu’il n’y avait plus qu’un devoir pour le citoyen, un devoir étroit et qui se confondait avec le droit, défendre la République, défendre la Constitution, et résister par tous les moyens à l’homme que la gauche, et son crime plus encore que la gauche, venait de mettre hors la loi. Les réfugiés de Suisse passèrent la frontière en armes, traversèrent le Rhône près d’Anglefort et entrèrent dans le département de l’Ain. Charlet se joignit à eux.

À Seyssel, la petite troupe rencontra les douaniers. Les douaniers, complices volontaires ou égarés du coup d’État, voulurent s’opposer à leur passage. Un engagement eut lieu, un douanier fut tué, Charlet fut pris. Le coup d’État traduisit Charlet devant un conseil de guerre. On l’accusait de la mort du douanier qui, après tout, n’était qu’un fait de combat. Dans tous les cas, Charlet était étranger à cette mort ; le douanier était tombé percé d’une balle, et Charlet n’avait d’autre arme qu’une lime aiguisée. Charlet ne reconnut pas pour un tribunal le groupe d’hommes qui prétendait le juger. Il leur dit : — Vous n’êtes pas des juges ; où est la loi ? la loi est de mon côté. Il refusa de répondre.

Interrogé sur le fait du douanier tué, il eût pu tout éclaircir d’un mot ;