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bien au contraire, il l’étala. L’atrocité ne suffisait pas, il fallait le cynisme. Massacrer n’était que le moyen, terrifier était le but. »

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« Ce but fut-il atteint ?

« Oui.

« Immédiatement, dès le soir du 4 décembre, le bouillonnement public tomba. La stupeur glaça Paris. L’indignation qui élevait la voix devant le coup d’État se tut subitement devant le carnage. Ceci ne ressemblait plus à rien de l’histoire. On sentit qu’on avait affaire à quelqu’un d’inconnu.

« Crassus a écrasé les gladiateurs ; Hérode a égorgé les enfants ; Charles IX a exterminé les huguenots, Pierre de Russie les strélitz, Méhémet-Ali les mameluks, Mahmoud les janissaires ; Danton a massacré les prisonniers. Louis Bonaparte venait d’inventer un massacre nouveau, le massacre des passants.

« Ce massacre termina la lutte. Il y a des heures où ce qui devrait exaspérer les peuples, les consterne. La population de Paris sentit qu’elle avait le pied d’un bandit sur la gorge. Elle ne se débattit plus. Ce même soir, Mathieu (de la Drôme) entra dans le lieu où siégeait le comité de résistance et nous dit : « Nous ne sommes plus à Paris, nous ne sommes plus sous la République ; nous sommes à Naples et chez le roi Bomba. »

« À partir de ce moment, quels que fussent les efforts du comité, des représentants républicains et de leurs courageux auxiliaires, il n’y eut plus, sur quelques points seulement, par exemple à cette barricade du Petit-Carreau où tomba si héroïquement Denis Dussoubs, le frère du représentant, qu’une résistance qui ressemblait moins à un combat qu’aux dernières convulsions du désespoir. Tout était fini. Louis Bonaparte avait noyé la République dans le sang de Paris.

« Le lendemain 5, les troupes victorieuses paradaient sur les boulevards. On vit un général montrer son sabre nu au peuple et crier : La République, la voilà !

« Ainsi un égorgement infâme, le massacre des passants, voilà ce que contenait, comme nécessité suprême, la « mesure » du 2 décembre. Pour l’entreprendre, il fallait être un traître ; pour la faire réussir, il fallait être un meurtrier.

« C’est par ce procédé que le coup d’État conquit la France et vainquit Paris. Oui, Paris ! On a besoin de se le répéter à soi-même, c’est à Paris que cela s’est passé !

« Grand Dieu ! les baskirs sont entrés dans Paris la lance haute en chantant