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Le voyageur s’en aille
Sur son cheval rétif !
Que, sans entrer, le coche
À ta porte s’accroche !
Que le diable à la broche
Mette ton roi chétif !
Que toujours un blé maigre,
Qu’un raisin à vinaigre
Emplisse tes paniers !
Yvetot la normande,
Où l’on est à l’amende
Chez tous les taverniers !
Logis peuplé de singes,
Où l’on voit d’affreux linges
Pendre aux trous des greniers !
Où le poing d’un bélître
Croit casser une vitre
Et crève un vieux papier !
Où l’on a pour salade
Ce qu’un lapin malade
Laisse dans son clapier !
Ville bâtie en briques !
Triste amas de fabriques
Qui sentent le ranci !
Qui n’as que des bourriques
Et du cidre en barriques
Sur ton pavé moisi !
Groupe d’informes bouges.
Où les maisons sont rouges
Et les filles aussi !

Enfin je m’en retourne à Paris, et, retiens bien ceci, voici le solennel épiphonème qui jaillit de mon voyage : la nature est belle et l’homme est laid.

En effet si d’une part les routes sont couvertes de fleurs, d’arbres, d’oiseaux, de rayons de soleil, d’autre part elles sont encombrées d’affreux paysans en jaquette, de paysannes en bonnets de coton, de marmots immondes dont la bouche suce le nez. Il y a les cathédrales, mais il y a les auberges. Or, sais-tu ce que c’est que les auberges ? Ce sont les anciennes cavernes de voleurs, civilisées, perfectionnées et abonnées au Constitutionnel.

Je t’assure, mon Adèle, que j’ai le cœur bien content de revenir. À Gisors, j’aurai tes lettres. À Fourqueux, j’aurai toi. J’embrasse Didine, j’embrasse Charlot, j’embrasse Toto, j’embrasse Dédé. Vous êtes tous ma joie et ma vie. Je t’embrasse et je t’aime, mon Adèle. — Mes amitiés à ton père, à Martine, à nos amis.