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éclataient deux phares. À gauche, au-dessus de nous, les ormes de la route, qui ont des profils si étranges la nuit, se détachaient sur un ciel crépusculaire. La spirale indécise du chemin se perdait à mi-côte. On entendait le bruit mystérieux de la mer. J’arrivais à Cherbourg.

Il est difficile, n’est-ce pas, de mieux arriver dans une ville. N’en rien voir que quelques lumières dans un amas d’ombre, n’en rien entendre dans la rumeur de l’océan, c’est admirable, on la suppose comme on veut. — Le lendemain, j’étais tout désappointé. Excepté l’église, qui a quelques curieuses ciselures, Cherbourg est une plate ville.

J’ai fait là une promenade en mer avec Nanteuil. Nous avons visité le port, la digue, etc. Décidément je fais peu de cas des grands ports de mer. Je déteste toutes ces maçonneries dont on caparaçonne la mer. Dans ce labyrinthe de jetées, de môles, de digues, de musoirs, l’océan disparaît comme un cheval sous le harnais. Vive Étretat et le Tréport! Plus le port est petit, plus la mer est grande.

À huit heures du soir, nous quittions Cherbourg. Nous montions tous les deux à pied lentement la côte de Tourlaville. Derrière nous la mer s’étalait sur l’immense horizon, unie et comme cirée.

Du point où nous étions on voyait trois golfes. La magnifique croupe de granit d’où l’on extrait la digue faisait un bloc sévère au-dessus de Cherbourg qui se voilait de ses fumées. Un canot qui traversait la rade laissait derrière lui un long sillage d’argent qui allait distinctement jusqu’à Cherbourg, quoique l’embarcation en fût à plus d’une lieue. Le crépuscule simplifiait les lignes déjà fort belles des collines et de la mer. L’eau était nacrée par endroits, et tout au fond, au milieu de l’océan mat et sans reflets, on voyait s’éteindre le soleil sur lequel s’abaissait une paupière de nuages.

Du reste Cherbourg n’en avait pas moins une figure médiocre ; mais, quand le ciel et la mer font une sauce à une ville quelconque, c’est toujours beau.

Il faut bien que je m’arrête ici, c’est tout au plus si j’ai une plume. Il n’y a pas de poudre pour sécher mon papier, et je suis forcé de me servir pour cela d’un numéro du Constitutionnel. Pauvre Constitutionnel, forcé de boire ma littérature !