Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rencontre, l’architecture gothique le ravit. Surtout il se plaît à errer dans les vastes cathédrales, pestant contre l’importunité des sacristains, dont l’obséquiosité intéressée ne peut laisser le visiteur s’abandonner aux pensées qui l’emplissent, aux rêveries profondes qui sont comme un crépuscule qui tombe dans l’esprit.

… Une page saisissante (la concision de ces notes ne les empêche pas d’avoir une furieuse couleur romantique) est celle que Hugo consacre au bagne de Toulon. Dans le tas des forçats, il aperçoit des incurables et un fou, enchaînés comme les autres, et il frémit. Le pêle-mêle des condamnés le révolte aussi. Le compagnon de chaîne d’un assassin est un pauvre diable qui a gagné dix ans de bagne en essayant de changer six liards faux, « sachant qu’ils étaient faux » a dit l’arrêt ! Ce qui étonne Hugo, c’est la vieillesse de beaucoup de ces misérables : sous la casaque d’infamie, quelques-uns ont un air vénérable. Hugo, ici, se souvient qu’il n’est pas seulement poète, mais homme politique, et il jette sur le papier des notes pour la question, grave à traiter, de la répression.

Ainsi, avec ses lettres, est-on, pour ainsi dire, dans le commerce familier d’un grand esprit, et on peut se plaire à rapprocher telle pièce de vers célèbre d’Hugo d’une des pensées qui ont jailli chez lui au cours de ses excursions de touriste.

Une impression se dégage, une idée naît, et le jour viendra où elle prendra sa forme littéraire.

Quand il s’agit d’un pareil poète, ce travail est curieux à suivre.


La Justice.

Camille Pelletan.

…Victor Hugo apparaît tout d’abord avec deux puissances maîtresses, le lyrisme et l’épopée. Nul ne possède à un plus haut degré le génie créateur. Et pourtant, c’est un besoin auquel on revient si forcément de retrouver la réalité sous l’œuvre d’art, qu’il y a des moments où l’on est plus saisi par la page écrite d’après nature que par les créations les plus audacieuses et les plus magnifiques.

Or, par un contraste qui se comprend aisément, nul ne donne un accent plus saisissant à ce que les peintres appellent « une étude d’après nature » que les génies de grande envergure. Ils sont aussi grands quand ils touchent le sol que quand ils prennent leur élan.

… Ce dernier volume n’est pas mis au point comme le Rhin. C’est une suite de lettres et de morceaux détachés. Mais Victor Hugo n’a pas écrit peut-être de plus belles pages que quelques marines et quelques paysages qui se trouvent là. Il y a, à côté de ces tableaux de la plus grande puissance, des croquis familiers d’auberges et de diligences tout à fait extraordinaires.

Des recueils comme celui-ci offrent un intérêt d’histoire littéraire particulier. Quand Victor Hugo disait, en tête d’un livre comme le Rhin, qu’il s’était borné à donner ces lettres écrites au jour le jour telles qu’elles étaient parties d’un coin de table d’hôtel, ses plus grands admirateurs se refusaient à le croire. Évidemment l’affirmation comporte quelques réserves.

Mais les morceaux qu’on nous donne et dont la plupart n’ont été écrits que pour des amis, amènent à restreindre singulièrement les réserves. Il est prodigieux que des lettres, griffonnées au coin d’une table d’auberge, aient pu contenir des pages d’une telle envolée et d’une forme si définitive.


II
ALPES ET PYRÉNÉES.




Le Télégraphe.

Camille Le Senne.

S’il est une œuvre qui mérite d’avoir pour épigraphe la phrase célèbre de Montaigne : « Ceci est un livre de bonne foy », c’est bien le septième volume du Victor Hugo, édité chez Hetzel et Quantin par les soins des exécuteurs testamentaires du poète : Auguste Vacquerie et Paul Meurice. En Voyage, c’est l’admirable touriste du Rhin, le plus puissant interviewer de la nature qu’ait connu le dix-neuvième siècle, nous racontant la suite de ses dialogues avec le ciel, la montagne, le fleuve et la forêt, combinant la psychologie, l’histoire, les impressions personnelles, les