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nature. Infini comme elle dans le grand et dans le petit. Microscopique et gigantesque.

Ô pauvres architectes de nos jours qui ont l’art de faire de si petits édifices avec de si grands amas de pierres, qu’ils viennent donc étudier ceci ! qu’ils viennent apprendre, ces bâtisseurs de grandes murailles nues, comment le simple contient le multiple sans en être troublé, comment le petit détail agrandit le grand ensemble. Ce sont véritablement de malheureux artistes qui ont perdu le sens de leur art, et qui ôteraient les feuilles aux chênes comme les arabesques aux cathédrales.

L’extérieur de l’église n’est pas moins sublime. Les deux portails des extrémités du transept sont d’une beauté presque unique. Ils ont de certaines portes latérales à plafonds qui, vus de côté, leur donnent je ne sais quel air de péristyles égyptiens. Les statues sont comme celles d’Amiens, de la plus sévère époque de l’art chrétien.

Quant aux deux clochers, ils forment entre eux la plus admirable et la plus harmonieuse opposition de grâce et de majesté qui se puisse imaginer. Le vieux, qui est le moins haut, est presque roman, est d’une gravité sombre et austère, quoique ornée. L’autre est un gigantesque bijou de quatre cents pieds de haut.

Les trois grandes rosaces, admirables au dehors comme forme, sont admirables au dedans comme couleur.

Quant au dégât causé par l’incendie, quoi qu’on en ait dit dans les journaux, il est immense. J’en parle après avoir vu. J’ai visité l’église avec le plus grand scrupule, parfaitement anonyme, comme je fais toujours pour n’être influencé par aucune politesse. Pour tout voir, j’ai eu à lutter, là comme partout, contre ce sonneur stupide et ce sacristain insolent que j’ai toujours retrouvés dans toutes les églises, maîtres absolus de l’édifice, le barricadant aux curieux, et s’y faisant dans des coins de petits amas de débris précieux qu’ils tiennent sous clef et qu’ils exploitent. À Chartres, c’est encore mieux, le sacristain donne des consignes aux soldats. Vous vous présentez pour entrer, la sentinelle vous crie : Halte-là ! avez-vous la permission ? — De qui ? — Du portier, dit le soldat.

Je dis que le dégât est immense dans toute la partie supérieure de l’église et, qui plus est, irréparable. Pour la forêt, cela va sans dire. Où sont les châtaigniers ? où sont les charpentiers ? La matière première et l’ouvrier manquent. On fera un comble en fer, triste expédient, qui, heureusement au moins, ne se verra pas du dehors comme ce déplorable clocher de Rouen.

Mais dans les flèches le ravage n’est pas moins irrémédiable. Ce n’est pas seulement la charpente qui a brûlé. Ce sont tous les fenestrages de pierre si délicats et si charmants du grand clocher qui se sont dissous dans l’incendie.