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Chemin faisant, j’avais vu l’église. Elle est du mauvais style de Saint-Sulpice ; mais le baldaquin rococo de l’autel est admirable. Il rappelle celui de Spire. Les voûtes ont des trous de bombes. Le cadran du beffroi a été brisé par un obus.

Georges et Jeanne ont fait émotion. On les entourait, on les admirait. Un officier prussien a dit à Georges : Vous êtes un bel enfant. Donnez-moi la main. Georges a croisé ses deux mains derrière son dos et l’a regardé fixement.


1er septembre. — En m’en revenant de Mondorf j’ai rencontré sur la route un cavalier, vieux, en blouse bleue, l’air militaire, deux pistolets à ses arçons de cuivre ; soldat devenu paysan. Il m’a salué en passant ; son cheval s’est arrêté, et a baissé la tête. Le vieux homme m’a dit : C’est un geval vranzais, il vous zalue.


2 septembre. — L’évêque de Luxembourg, Nicolas Adamus, a refusé la musique qui avait donné une sérénade à Victor Hugo. Alors les habitants de Vianden ont crié sur son passage Vive Victor Hugo ! Et il a quitté la ville. Le bourgmestre a déclaré qu’il rompait toute relation avec le clergé local. Le West, journal allemand et jésuite, a dit que j’étais Satan en personne.


3 septembre. — Nous sommes allés de Remich où l’on passe la Moselle sur un pont hollandais par un bout et prussien par l’autre, et de là à Nennig, où il y a des débris romains, un reste de palais, un bas-relief, un sarcophage en pierre, une colonnette étrange avec figure engagée, plutôt romane que romaine, de vieux murs, le parpaing d’une salle carrée avec tronçons de colonnes (une entière) et, dans un grand bâtiment construit exprès, une magnifique mosaïque romaine à médaillons, représentant les divers aspects du cirque, les gladiateurs s’entretuant, les bêtes s’entredévorant, les bêtes mangeant les hommes, les hommes tuant les bêtes, le gladiateur qui a vaincu le tigre et qui demande grâce, l’ours forcé à coups de fouet de manger un homme, le tigre dévorant l’âne, image involontaire de l’empereur et du peuple, le lion dompté par le belluaire, autre symbole, et la musique, un orgue hydraulique et un cor de chasse, sorte de trompette circulaire traversée d’une flèche. J’ai dessiné la tête du tigre et celle du lion. Cette mosaïque est très grande et admirable ; elle a un aspect de grisaille que le temps lui a donné. Des paysans l’ont découverte à coups de pioche, et sans leurs coups de pioche elle serait intacte.

On m’a présenté le registre des voyageurs, je n’ai pas voulu y écrire mon nom, étant en Prusse.

Un peu de pluie, mais en somme beau temps. Nous sommes allés de