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travailleurs a été lancé un jour par l’explosion de la mine du haut de la montagne au fond de la vallée au delà de la rivière. Il ne s’est fait aucun mal dans cette chute énorme. Il est encore vivant. Il y a de cela quarante ans. M. André m’a montré le trou de mine qu’on voit encore ; M. André a été témoin du fait. Il alla voir l’homme qu’on venait de relever tout en vie. — À quoi pensiez-vous en l’air ? lui demanda M. André. — À ceci, qu’on était bien en l’air et mal sur la terre.


25 août. — Excursion par Mersch au château en ruine d’Ansemburg. Mersch, je dessine le beffroi, le rocher-tour, belle ruine gâtée par un logis bourgeois. Marienthal, vallée magnifique, rochers comme des tours ; Schœnfels, Belleroche, vieux château absurdement restauré. La ruine d’Ansemburg est admirable. Je la dessine. Forteresse du 14e siècle avec des choses de la Renaissance. Il y a un revenant.

Nous partons demain matin pour Mondorf.


[Séjour d’un mois aux eaux de Mondorf, près Altwies.]


28 août. — À Mondorf, aristocratie et bourgeoisie. Grande curiosité de me voir, mais curiosité hostile. Mariette a entendu un homme à qui un autre disait : Tournez-vous, voilà Victor Hugo, répondre : Je ne le connais pas.

Nous sommes allés à Aspelt. Il y a là une vieille croix de pierre, une église gothique avec clocher roman, et un château du seizième siècle, le tout en mauvais état. J’ai dessiné la croix, le clocher et le château. Un paysan est venu nous ouvrir. J’ai voulu lui donner une pièce de monnaie. Il a refusé et m’a dit : Je voulais vous voir, je vous ai vu, je suis content. — Je lui ai demandé : Êtes-vous luxembourgeois ? — Il m’a dit : Non, je suis prussien aujourd’hui. Mais français toujours. — Je lui ai tendu la main qu’il a serrée les larmes aux yeux. C’est un lorrain cédé.


30 août — Après déjeuner, nous sommes partis pour Thionville. Je raconterai en détail cette journée. J’ai vu cette ville que mon père a défendue en 1814 et 1815, et qu’on n’a pas prise. Elle est prise aujourd’hui ; elle est plus que prise, elle est prisonnière. L’Allemagne la tient. Il y a une sentinelle prussienne aux portes.

La ville a été épouvantablement bombardée. La pluie d’obus a duré cinquante-trois heures. Sur toute la ville, environ quatre cents maisons, cinq seulement n’ont pas été atteintes ; elles ont seulement leurs vitres brisées. Tout le reste mitraillé, écrasé, brûlé. La ville est morne, je devrais dire