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rable de la ruine du haut de la montagne environnante. Vieille forteresse féroce. Un burg. Tout le onzième siècle avec ses spectres qui sont maintenant des tours. J’ai dessiné la tour d’entrée où il y avait, en 1865, deux femmes, la mère et la fille, réfugiées là comme deux orfraies. Le nid est resté terrible. Les femmes n’y sont plus.


23 juillet. — Je visite presque tous les jours les maisons brûlées dans la nuit du 14 au 15. Intérieurs sinistres. La vie toute récente et la mort toute chaude. Il n’y a plus de toits aux maisons ni de plafonds aux chambres. Des tas de cendres aux rez-de-chaussées, épais de deux ou trois pieds, résument toute la maison. Les portes et les fenêtres, qui ont été des vomitoires de flammes, sont calcinées. Dans des façades toutes rongées par le feu, il y a des croisées dont les carreaux ne sont pas cassés. Dans les arrière-cours où pleuvait la braise, des tas de fumier n’ont pas pris feu. Çà et là les poutres d’un plafond, restées à claire-voie et se découpant noires sur le ciel, ressemblent aux côtes d’un squelette. Des touffes d’herbe dans des coins sont restées vertes. — On a commencé la reconstruction. La souscription marche ; le prince Henri des Pays-Bas, vice-roi du Luxembourg, a dit : Je dois donner le double de Victor Hugo ; et il a donné 600 francs.


24 Juillet. — Le curé de Vianden a dit hier dimanche en chaire : Le diable avait sur la terre trois religions, les Luthéristes, les Calvinistes et les Jansénistes. Maintenant il en a une quatrième, les Hugonistes.

Ce curé est un vieux brave homme qui possède la seule oie qu’il y ait dans Vianden. Il va dans les rues avec elle. Ils sont inséparables ; tantôt l’oie suit le curé, tantôt le curé suit l’oie.


25 juillet. — Le jour du départ de Victor, comme nous étions dans la voiture, en route pour Diekirch, en montant la côte de Vianden, le cocher s’arrête brusquement, et fait pleuvoir avec une sorte de rage une grêle de coups de fouet sur un point de la route. Nous regardons et nous voyons une misérable bête se tordre sous le fouet au grand soleil. C’était une couleuvre qui traversait le chemin. Elle est restée là coupée en tronçons. J’ai dit au cocher : Pourquoi la tuer ? — Il m’a répondu : Ces bêtes-là font peur aux chevaux.


28 Juillet. — Hier un paysan entre dans le jardin de l’hôtel Koch où j’étais. Il s’approche et me dit :

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.