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de rue, dans une forêt, au fond d’un ravin, c’est une vision. Il est splendide. Il se compose de deux châteaux, un du 17e siècle, habitable et habité, et un du onzième au seizième siècles, roman et gothique, en ruine. Ruine magnifique. Une énorme tour donjon que j’ai dessinée. À cette tour se rattache toute la forteresse écroulée, murs, tours, tourelles, salles effondrées, créneaux, mâchicoulis. À droite, en entrant dans le donjon, le puits des oubliettes, soigneusement comblé. Les seigneurs actuels effacent volontiers le souvenir des seigneurs d’autrefois. Je remarque partout, sur le Rhin comme dans les Ardennes, cette destruction sournoise et systématique des oubliettes. On ne veut pas montrer le passé sous son vrai jour, qui est hideux.

Nous sommes repartis à 5 h. 1/2. Nous avons passé la Sure à gué. Là nous avons couru un assez grand danger. La rivière était grosse et les chevaux ont failli verser la voiture. Nous sommes arrivés à Vianden à 7 h. 1/2.


18 juin. — À 4 heures nous sommes partis pour une excursion à Falkenstein. Il y a une route neuve faite depuis deux ans à travers la montagne. Au point culminant de cette route, une tranchée coupée dans le roc ouvre passage sur une autre vallée qu’emplit un magnifique circuit de l’Our. À six heures, après avoir passé l’Our à gué, nous arrivions à Falkenstein. La première fois que j’ai approché de cette ruine, en 1863, j’étais avec Charles. La pluie nous fit rebrousser chemin avant d’être arrivés au haut de la colline. Cette fois encore même aventure. J’ai retrouvé l’arbre sous lequel je m’étais arrêté avec Charles pour dessiner la ruine. Je m’y suis abrité comme il y a huit ans, et j’ai dessiné le vieux burg. Il est toujours habité par les anciens seigneurs devenus paysans. Nous sommes revenus, maussadement reconduits par une ondée inhospitalière.

Aujourd’hui fête ici pour le jubilé de la 25e année de Pie IX. Il est le seul pape qui ait fait mentir le non videbis annos Petri. Ce matin on a tiré des boîtes et sonné les cloches. Ce soir la ville est illuminée. Mes hôtes avaient mis des lampions à mes fenêtres. Je les ai fait retirer, c’est l’anniversaire de la bataille de Waterloo.


20 juin. — Vianden est un pays de tanneurs. En nous promenant le long de la rivière, nous avons rencontré le séchoir d’un aveugle qui fait des mottes à brûler en pétrissant le tan dans un moule avec les pieds. Ce pauvre homme a fort intéressé Georges.


3 juillet. — En me levant j’apprends que l’orage d’hier a tué un homme sur la montagne. Un paysan avait oublié sa chèvre attachée dans un pré, tout au sommet. Au plus fort de la tempête, il est allé la chercher. Un coup