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quons. Grand vent. Le Rhin est presque en tempête. Le clapotement effraie les chevaux. On les dételle. Baptiste inquiet, dit : Je ne recommencerai pas pour cinq francs.


4 septembre. — Mayence. Après déjeuner, je me promène dans la kermesse qu’on défait. On emballe les chevaux de bois. De grandes voitures jaunes à roues bleues, qui sont des maisons, se chargent de caisses au dehors et de familles au dedans. La femme qui avait hier soir, aux lampes et sur les tréteaux, vingt ans et un maillot rose, a ce matin au soleil quarante-cinq ans, des bas sales et un jupon de grosse laine paysanne. Les canards des fermes voisines vont et viennent dans ce déménagement mélancolique.


5 septembre. — Heidelberg. Après le dîner, la pleine lune nous invitant, nous montons à la ruine. La porte est fermée. Nous frappons avec quelque colère. Je me rappelle que mon oncle Louis Hugo a enfoncé cette porte à coups de hache, et je tâche de l’enfoncer à coups de talon. Je réussis moins que Louis. Nous faisons le tour du château. Admirables lueurs de lune dans les arbres. Nous espérons entrer par l’autre porte sur la colline. Nous la trouvons fermée. Nous frappons. Un homme ouvre avec un gourdin. Nous lui offrons deux florins pour entrer ; il nous offre des coups de bâton ; Charles se dispose à lever la canne. J’interviens. Nous redescendons, nous ne voyons pas la ruine, et nous allons nous coucher.


8 septembre. — Bade. Déjeuné à l’Ours. Une jolie petite fille de huit ou neuf ans entre, tenant un bouquet. C’est de la part de son père et de sa mère, voyageurs dans l’hôtel. Je lui baise la main, et je lui demande le nom de ses parents. Elle me dit : Je m’appelle Lucie. Papa s’appelle Victor. Maman s’appelle Thérèse. J’offre le bouquet à madame Hetzel. J’écris ceci sur un papier que je remets à la petite fille :


Remerciement pour ce bouquet apporté par une fleur.

Victor Hugo. 8 7bre 1865, Bade.

J’ai été me promener seul. J’ai revu l’église, j’ai vu la chapelle. Superbe tombeau du 14e siècle. Au centre un géant de pierre, qui est un margrave de Bade, couché sur une table avec des lions sous ses pieds et sous sa tête et tenant à la main son morion bicorne.

Autres tombeaux dont un, curieux, du 15e siècle, à statue de cuivre. Beaux détails. Jolis vitraux allemands modernes. J’ai rôdé une heure sur la lisière de la forêt.