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du pays dédaignent cette escalade. Au moment où nous arrivons deux hommes descendent en courant le sommet déclive de la muraille de droite. Nous les suivons des yeux. Que vont-ils faire quand ils arriveront à l’escarpement ? ils y arrivent. Le premier arrivé se baisse et nous apercevons une corde qui rampe d’anfractuosité en anfractuosité et pend jusqu’à une échelle de bois dont le pied se perd dans la mer. L’homme saisit la corde des deux mains, et descend rapidement en posant ses pieds sur les saillies du roc comme sur les marches d’un escalier. « Son camarade le suit. » Un moment après ils sont remontés par le même chemin. Ils étaient descendus pour tripoter quelque chose dans un bateau.

L’entrée du havre Gosselin est farouche. La mer est toute semée de blocs qui ont l’air de monstres buvant. L’îlot des marchands fait là un gros tas d’ombre.

Les deux murs verticaux du havre portent çà et là des espèces de consoles naturelles, rondes et à culs-de-lampe, qui ressemblent à des nids d’oiseaux. Des pâquerettes et des digitales pourprées penchent leur cou hors de ces encorbellements. Ce sont des nids de fleurs.

Tout en haut, le plus ravissant ravin du monde. Une mare. Des canards, des forêts vierges d’orties. Sous les arbres, un coin mystérieux où le vent a tracé parmi les hautes herbes je ne sais quel cercle qui figure vaguement la trace de la ronde des fées.


27 mai. — Dix heures du matin. À l’auberge Vaudin. — Il pleut. Nous sommes forcés d’ajourner nos excursions. Elle ne se rend pas tout de suite, cette île charmante. Elle pleurniche un peu à notre arrivée. Elle a l’air de dire : je ne veux pas qu’on me voie. Et puis voici un rayon de soleil qui perce la pluie chaude et fine. Un doux nenni avec un doux sourire.


30 mai. Sept heures du matin. — À la Coupée. Un abîme en trois précipices. Je m’accoude au balcon du gouffre. J’assiste au déjeuner des mouettes et au bain de mer des cormorans.

Entrée de la Coupée. Tranchée à vif dans le roc, deux murs de brèche rougeâtre. — Fleurs en été dans les fentes : marguerites, sainfoin, gazon de Mahon.

Dans l’escarpement, d’immenses ventres de granit rose ou noir, les uns gonflés, les autres rentrant, comme s’ils retenaient leur souffle, avec des trous de bêtes pour nombrils.


30 mai. 3 heures. — Le Creux. Cirque, murs à pic. Énorme fer à cheval de granit. Au bas des murailles, tout autour du Creux, des espèces de porches.