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mentale, du moins en beauté pittoresque, les quatre villes impériales du Rhin inférieur. Spire, Mayence, Coblentz et Cologne ; il n’a pas le Mein et la Moselle, mais il a la Murg et le Neckar ; il n’a pas les Sept-Monts, mais il a Schaffhouse.


IX


J’ai vu la Meuse, le Rhin, le Neckar, la Moselle. J’ai étudié les questions de guerre et de paix, d’équilibre et de perturbation, les soldats prussiens, autrichiens, hessois, badois, tous les aigles et tous les lions et tous les griffons de la confédération germanique ; maintenant, dans une auberge-métairie, je passe ma journée à contempler une basse-cour où il y a un chat.


Rien ne me divertit comme un chat dans une basse-cour. C’est un spectacle charmant. Le chat est un philosophe distingué, un poëte, un penseur, un fabuliste. Il vit parmi les animaux. Regardez un peu ma basse-cour, je vous prie. Le dogue, qui a veillé toute la nuit, dort tout le jour dans sa niche. Le pourceau grogne dans sa souille. Le lapin est bête, le dindon est sot, l’oie est stupide. Les uns cancannent, les autres caquettent. Tous bavardent au hasard sans écouter leur voisin. La poule, cette commère, jalouse la pintade qui prend des façons pincées de créole et d’étrangère. Le canard, ce porc de la gent volatile, se goberge hideusement dans la mare. Le coq, cet hidalgo, fait le bravache, promène et varie ses allures de capitan et s’épuise en dévouement, en désintéressement et en galanterie pour son sérail comme un chevalier arabe.

Le chat, lui, est dans son coin, dans sa fourrure, il a chaud, il est bien, il est seul ; il a la meilleure place au soleil, il ne dit rien. S’il s’absente une heure ou deux, c’est pour aller chasser dans le verger, chasser non en chien, mais en chat, non pour les autres, mais pour lui. Que voulez-vous ? La vie a des besoins misérables, il faut dîner tous les jours, et puis il est un peu gourmand, et puis un chat de basse-cour est un chat honorable et décent qui laisse les souris, fi donc ! aux tigres de gouttière. Il a donc déjeuné discrètement, dans l’ombre, d’un moineau ou d’un chardonneret, il revient, il reprend sa place, il se rassied, il rêve, il observe, et toujours et dans tous ses mouvements et dans toutes ses actions il déploie avec son grossier entourage ces manières de bonne compagnie, cette réserve, cette propreté en toutes choses, cette politesse légèrement ironique, ce demi-dédain indulgent, cette bienveillance à griffes cachées, cette supériorité voilée, cette résignation élégante, cet égoïsme savant, gracieux et sournois d’un homme d’esprit fourvoyé dans une réunion d’imbéciles.