Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout à coup il m’aperçut, et son sourire disparut comme s’éteint une lampe sur laquelle on souffle. Son sourcil s’était froncé, son regard restait fixé sur moi. Il ne prononçait pas une parole.

Escumuturra lui toucha l’épaule de la main, et lui dit à demi-voix en me désignant du pouce :

Adisquidea. (Un ami.)

L’homme se rangea pour me laisser entrer ; mais son sourire ne reparut pas.

Cependant Azcoaga et Irumberri avaient poussé les mules dans la cabane ; Escumuturra et l’hôte causaient à voix basse dans un coin. La porte s’était refermée et Irumberri en avait soigneusement refait la barricade comme s’il était habitué à cette besogne ; et pendant qu’Azcoaga déchargeait sa mule, je m’étais assis sur un ballot d’où je considérais l’intérieur du logis.

La maison ne contenait qu’une chambre, où nous étions, mais cette chambre contenait un monde.

C’était une grande salle basse dont le plafond, composé de lattes et de voliges appuyées çà et là sur des poutres faisant piliers, laissait passer et pendre par longs brins le foin dont était rempli le haut de la maison sous l’angle du toit. Des cloisons à claire-voie, ressemblant plutôt à des treillis qu’à des cloisons, dessinaient dans cette salle des compartiments capricieux.

L’un de ces compartiments, à gauche de la porte, comprenait un angle de la cabane, la fenêtre, la cheminée, énorme caverne de pierre noircie par le feu ; et le lit, c’est-à-dire une façon de cercueil dans lequel grimaçaient les mille plis d’une paillasse bistre et d’une couverture rousse. C’était la chambre à coucher.

Vis-à-vis la chambre à coucher, un autre compartiment contenait un veau couché sur du fumier et quelques poules endormies dans une espèce de boîte. C’était l’étable.

À l’angle opposé, dans un troisième compartiment, s’amoncelait une pyramide informe de souches hérissées et de fagots épineux, provision de bois pour l’hiver. Quelques outres de vin et des harnachements de mulets étaient rangés avec quelque soin auprès des fagots. C’était le cellier. Il y avait une carabine dans l’angle du mur voisin de la fenêtre ; mais, entre le cellier et l’étable, dans un dernier compartiment encombré de fouillis de toutes sortes, vieilles muletas, vieux paniers, tambour de basque crevé, guitare sans cordes, je vis reluire sous une hottée de guenilles la poignée d’une navaja, fine, noire et galonnée de cuivre comme la manche d’un andalou. Je distinguai dans l’ombre à côté deux ou trois canons de carabines enfouies sous des haillons, et une sorte de trompe de métal évasée et