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La moitié de la grande place de Pampelune est occupée en ce moment, c’est-à-dire envahie, par un colossal échafaudage dressé pour des courses de taureaux qui doivent avoir lieu dans une dizaine de jours, et qui mettent la ville en rumeur. Cette corrida durera quatre jours, du 18 au 22 août. Le premier jour il y aura une course de novillos, et le dernier jour une espada fameuse dans le pays, Muchares, tuera le taureau.

L’amphithéâtre est carré ; il masque les rez-de chaussée de deux côtés de la place, dont les balcons et les fenêtres feront, le jour de la corrida, autant de premières et de secondes loges ; les greniers seront le paradis. Ce théâtre, car c’en est bien un, est tout simplement bâti en menuiserie et en charpente, avec d’innombrables gradins, les plus rudes qui soient, et de ma fenêtre je puis distinguer le numérotage des planches.

Ajoutez à cet ensemble deux ou trois diligences dételées et un corps de garde dont le soldat se promène devant la fonda, et vous aurez le « paysage » de ma fenêtre.


L’hôtel de ville de Pampelune est un élégant petit édifice du temps de Philippe III. La façade offre un curieux échantillon d’un genre d’ornementation propre au dix-septième siècle en Espagne. Ce sont des arabesques et des volutes plates qu’on dirait découpées sur la pierre à l’emporte-pièce. J’avais déjà vu une maison de cette mode dans l’étrange et lugubre village de Leso en Guipuzcoa. Le fronton de cet hôtel de ville est surmonté de lions, de cloches et de statues qui font un tumulte amusant à l’œil.

Ce qui ne m’a pas moins amusé, c’est la foire qui se tient en ce moment sur une petite place précisément en face de l’hôtel de ville. Les boutiques en plein vent pleines de doreloteries et de passequilles, les marchandes pleines de paroles joyeuses, les passants coudoyés, les acheteurs affairés, tout ce tourbillon de cris, de rires, d’injures et de chansons qu’on appelle une foire, a sous le soleil d’Espagne plus de rumeur et de gaieté.

Au milieu de cette foule se tenait debout, adossé à un pilier de l’hôtel de ville, un formidable gaillard de haute stature. Ses larges pieds nus sortaient de ses jambières de tricot rouge ; une muleta de laine blanchâtre à raies garance lui couvrait la tête, l’enveloppait tout entier de ses plis sculpturaux, et ne laissait voir que son visage basané aux pommettes saillantes, au nez carré, aux mâchoires anguleuses, au menton avancé, à la barbe noire et hérissée ; figure de bronze florentin, avec des yeux de chat sauvage. Au centre de ce bruit et de ce mouvement, cet homme restait immobile, grave et muet. Ce n’était plus un espagnol, c’était déjà un arabe.

À deux pas de cette statue, un italien grimacier, de grosses lunettes sur le nez, montrait des marionnettes et tapait sur un tambour, en chantant