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Août.

Dans les villes d’Espagne, il y a beaucoup de ventas, c’est-à-dire beaucoup de cabarets, quelques posadas, c’est-à-dire quelques auberges, et fort peu de fondas, c’est-à-dire fort peu d’hôtels. À Saint-Sébastien, il n’y a que la fonda Ysabel, ainsi nommée pour la distinguer de l’hôtellerie à la française, tenue par un honnête et brave homme nommé Laffitte. À Tolosa et à Pampelune, la fonda n’a ni nom ni enseigne. Elle s’appelle simplement la fonda ; ce qui dit clairement qu’elle est unique.

La chambre que j’occupe dans la fonda de Pampelune, al segundo piso (au second étage), a deux larges fenêtres qui donnent sur la grande place. Cette place n’a rien de remarquable. On y bâtit en ce moment, à l’une des extrémités, à l’est, je ne sais quoi de hideux qui ressemble à un théâtre et qui sera en pierre de taille. Je recommande cette chose au premier homme d’esprit qui bombardera Pampelune.

Pardonnez-moi, mon ami, cette lugubre plaisanterie. Je ne l’efface pas, parce qu’elle sort de la nature même des choses. La destinée de toutes les villes d’Espagne n’est-elle pas d’être périodiquement bombardées ? L’an dernier Espartero bombardait Barcelone. Cette année Van-Halen bombarde Séville. Qui bombardera l’année prochaine et que bombardera-t-on ? je l’ignore. Mais tenez pour certain qu’il y aura un bombardement. Cela étant, je prie pour les habitants, pour les maisons et pour les cathédrales ; et, comme il faut faire la part des bombes, je leur abandonne avec joie toutes les copies que je rencontre de notre laide et sotte Bourse de Paris.

Cela dit, revenons à Pampelune, et remontons dans ma chambre.

C’est une façon de halle blanchie à la chaux, avec deux lits, dont un large, que les servantes appellent el matrimonio. Sur le mur quelques cadres enluminés représentant des amants qui sourient et des époux qui boudent. Une petite table, deux chaises de paille, et une énorme porte, à panneaux contre-butés d’une charpente de chêne, à verrous de prison, à serrure de citadelle.

Il semble qu’en Espagne le cas d’une prise d’assaut soit prévu à chaque étage de chaque maison. Armer sa croisée et son balcon de persiennes à mailles serrées pour défendre sa femme des galants, et sa porte de ferrures robustes pour défendre sa maison du pillage, voilà le double souci des bourgeois en Espagne ; la jalousie fait la fenêtre, et la crainte fait la porte.