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noire à croix blanche disant la messe des morts. Les chants et l’orgue venaient d’en haut comme un bruit surnaturel. On ne pouvait distinguer d’où ils partaient. Autour de moi, une foule de femmes de tout âge, disposées en une sorte de demi-cercle à quelque distance de la bière, toutes gracieusement coiffées et enveloppées de la mantille de soie noire, accroupies sur le pavé de l’église, selon la mode espagnole, dans la molle et charmante attitude des femmes du sérail, l’œil plus souvent levé que baissé jouaient de l’éventail, écoutaient la messe et regardaient les passants.

Je regardais tour à tour le sépulcre du comte de Gages et ce pauvre enterrement d’un inconnu, deux néants, l’un honoré, l’autre dédaigné. Ô mon ami, si les choses que nous appelons inanimées pouvaient tout à coup prendre la parole, quel dialogue entre cette tombe de marbre et cette bière de sapin !


Le soir, je me suis promené sur les remparts, seul et pensif.

Il y a des journées dans la vie qui remuent en nous tout le passé. J’étais plein d’idées inexprimables. L’herbe des contrescarpes agitée par le vent sifflait faiblement à mes pieds. Les canons passaient leur cou entre les créneaux comme pour regarder dans la campagne. Les montagnes de l’horizon estompées par le crépuscule avaient pris des formes magnifiques ; la plaine était sombre ; l’Arga, ridée de mille reflets lumineux, se glissait sous les arbres comme une couleuvre d’argent.

En passant devant l’entrée de la ville, j’ai entendu le grincement des chaînes du pont-levis et l’ébranlement sourd de la herse qui tombait. On venait de fermer la porte. En ce moment la lune se levait. Alors, pardonnez-moi le ridicule de me citer moi-même, ces vers que j’écrivais il y a quinze ans me sont revenus à l’esprit :

Toujours prête au combat, la sombre Pampelune,
Avant de s’endormir aux rayons de la lune,
Ferme sa ceinture de tours.