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des ducs de Savoie. Le motif ne varie pas, mais il est si simple et si beau ! Le roi avec son lion, la reine avec son lévrier, sont couchés côte à côte, couronne en tête, sur un lit de marbre, touchant tombeau conjugal, autour duquel tourne, sous de petites architectures du travail le plus exquis, une procession de figurines éplorées. Cette partie du tombeau est odieusement mutilée. Presque toutes les statuettes sont en deux morceaux.

Sept ou huit missels énormes, de ce format infortiat qui a fourni à Boileau une si belle rime et un si charmant vers, reliés en parchemin et armés de coins de cuivre, sont rangés autour du cénotaphe et posés à terre comme des boucliers de soldats au repos. Ils sont dressés contre la grille du sépulcre. Il semble que le hasard ait eu une pensée en appuyant les livres de l’église au tombeau.

Un large buffet d’orgue, dans le goût du dernier siècle, fort riche et très doré, domine tout le chœur et ne le gâte pas. Au-dessous on lit ce verset qui est d’ailleurs inscrit sur presque toutes les orgues en Espagne : Laudate Deum in chordis et organo. Plus bas est la date : año 1742.

Les chapelles qui entourent le maître-autel et le chœur sont ornées, on pourrait presque dire encombrées, de ces immenses dessus d’autels sculptés et dorés qu’a toujours aimés ce vieux pays catholique. La mode en est ancienne. J’ai vu dans une chapelle un de ces dessus d’autels qui était du quinzième siècle, et dans un bas côté un autre du treizième. Au milieu de ce retable pendait à trois clous un grand Christ byzantin tout noir, à barbe frisée et à côtes saillantes, affublé d’un vaste jupon de dentelle blanche. Où diable la dentelle va-t-elle se nicher ?

Des bannières appliquées au mur, des madones dans des niches de damas rouge, et des tombeaux sculptés dans la muraille à diverses hauteurs complètent l’ameublement de l’église.

En sortant du chœur, je ne sais plus quel effet de clair-obscur m’a attiré à droite vers la porte latérale qui fait face à celle par laquelle j’étais entré, et je me suis trouvé tout à coup dans un des plus beaux cloîtres que j’aie vus de ma vie.

C’est un vaste quadrilatère, entouré de grandes ogives dont les meneaux dessinent de riches et robustes fenestrages du quatorzième siècle. Quelques-unes de ces ogives portent les traces d’une restauration récente, et intelligente, je m’empresse de le dire. Au-dessus de la galerie ogivale, une deuxième galerie plus basse, à solives sculptées, soutient le toit à tuiles creuses que dépassent çà et là des clochetons de pierre noire d’une forme exquise. La cour du cloître est un jardin, fort bien entretenu, où des buis taillés tracent toutes ces charmantes arabesques des jardins du dix-septième siècle.