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de la grâce et de la lumière. À Pampelune, l’architecture extérieure des monuments étant très austère, l’architecture intérieure évite surtout d’être ennuyeuse. Quant à moi, je lui en sais gré ; et à mon sens le plus grand mérite de l’art rocaille et chicorée, ce qui doit lui faire pardonner tous ses vices, c’est l’effort continuel qu’il fait pour plaire et pour amuser.

En mettant à part la cathédrale, dont je vous parlerai tout à l’heure, les églises de Pampelune, quoique vieilles nefs presque toutes, ont conservé peu de traces de leur origine gothique. J’ai pourtant remarqué dans l’une d’elles, au milieu d’une haute muraille, au-dessus d’une porte, un bas-relief du quatorzième siècle qui représente un chevalier partant pour la croisade. L’homme et le cheval disparaissent sous leur caparaçon de guerre. Le chevalier, fièrement motionné, la croix sur l’écu, presse son cheval qui se hâte et qui va en avant. Derrière le baron, sur une colline, on aperçoit son château à tours crénelées, dont la herse est encore levée, dont la porte est encore ouverte, dont il vient de sortir et où peut-être il ne doit jamais rentrer. Au-dessus du donjon est une grosse nuée qui s’entr’ouvre et laisse passer une main, main toute-puissante et fatale, dont le doigt étendu indique au chevalier la route et le but. Le châtelain tourne le dos à cette main, et ne la voit pas, mais on devine qu’il la sent. Elle le pousse, elle le tient. Cela est plein de mystère et de grandeur. J’ai cru voir revivre, rudement et superbement taillée dans le granit, la belle romance castillane qui commence ainsi : — « Bernard, la lance au poing, suit en courant les rives de l’Arlanza. Il est parti, l’espagnol gaillard, vaillant et déterminé ! »

Toutes les églises ont un autel à saint-Saturnin qui a été le premier apôtre de Pampelune, et un autre autel à saint-Firmin qui en a été le premier évêque. Pampelune est la plus ancienne ville chrétienne de l’Espagne, et en fait vanité, si ce peut jamais être là une vanité. Ces deux noms, Firmin et Saturnin, ne sont pas seulement dans toutes les églises, ils sont aussi sur toutes les boutiques. À chaque coin de rue on lit : Saturnino, ropero. — Fermin, sastre.

Il y a dans je ne sais plus quelle rue un portail d’hôtel qui m’a frappé. Figurez-vous une large archivolte autour de laquelle rampent, grimpent et se tordent comme une végétation de pierre toutes les tulipes bizarres et tous les lotus extravagants que le rococo mêle aux coquilles et aux volutes ; maintenant faites sortir de ces lotus et de ces tulipes, au lieu de sirènes écaillées et de nymphes toutes nues, des timbaliers coiffés de tricornes et des hallebardiers moustachus, vêtus comme les fantassins du chevalier de Folard ; ajoutez à cela des rocailles et des guirlandes au milieu desquelles des canonniers chargent leurs pièces, et des arabesques qui portent délicatement à l’extrémité de leurs vrilles des tambours, des bayonnettes et des grenades