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5 heures 1/2.

Ici le spectacle est d’une magnificence formidable. L’horizon est en deux morceaux, mer et montagne. Le rivage se prolonge devant moi à perte de vue. Il a l’angle et la forme de l’immense escarpe d’un immense retranchement que la bruyère gazonne. Un précipice qui a le même angle forme la contrescarpe.

Du côté de la terre, la mer assiège avec rage et brise ce retranchement, sur l’arête duquel la nature a posé un parapet qu’on dirait bâti avec l’équerre. Le retranchement s’écroule çà et là par grandes lames qui tombent d’un seul bloc dans l’océan. Figurez-vous des ardoises de quatrevingts pieds de long. Où je suis, l’assaut a été furieux, le ravage est terrible. Il s’est fait une brèche monstrueuse.

Je suis assis à la pointe extrême du rocher en surplomb qui domine cette brèche. Une forêt de fougères remplit le haut de l’écroulement. Une foule de chênes-nains, que le vent de mer fauche à la hauteur d’un gazon, croissent autour de moi. Je cueille une jolie feuille rouge.

D’imperceptibles bateaux pêcheurs nagent au fond du gouffre à mes pieds ; les maquereaux, les lubines et les sardines brillent au soleil dans le fond des barques comme des tas d’étoiles. Les nuages donnent à la mer des reflets d’airain.


7 heures.

Le soleil se couche. Je redescends. Un enfant chante dans la montagne. Je le vois qui passe au fond d’un chemin creux, chassant six vaches devant lui. Les créneaux de la montagne découpent leurs larges ombres sur un champ roux où paissent des moutons.

La mer est d’un vert de chrysoprase. Elle devient plus sombre. Le ciel s’éteint.