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De retour à Saint-Sébastien, j’ai annoncé dans mon auberge que j’irais le lendemain m’installer à Pasages.

Ceci a causé un effroi général.

— Qu’allez-vous faire là, monsieur ? Mais c’est un trou. Un désert. Un pays de sauvages. Mais vous n’y trouverez pas d’auberge !

— Je me logerai dans la première maison venue. On trouve toujours une maison, une chambre, un lit.

— Mais il n’y a pas de toit aux maisons, pas de porte aux chambres, pas de matelas aux lits.

— Cela doit être curieux.

— Mais que mangerez-vous ?

— Ce qu’il y aura.

— Il n’y aura que du pain moisi, du cidre gâté, de l’huile rance et du vin de peau de bouc.

— J’essayerai de cet ordinaire.

— Comment, monsieur, vous êtes décidé ?

— Décidé.

— Vous faites ce que personne n’oserait faire ici.

— En vérité ? cela me tente.

— Aller coucher à Pasages, cela ne s’est jamais vu !

Et l’on faisait presque des signes de croix.

Je n’ai voulu rien entendre, et le lendemain, à l’heure de la marée, je suis parti pour Pasages.


Maintenant, voulez-vous connaître le résultat ? Voici où m’a mené mon imprudence.

Je commence par vous dire ce que j’ai sous les yeux au moment où je vous écris.

Je suis sur un long balcon qui donne sur la mer. Je m’accoude à une table carrée recouverte d’un tapis vert. J’ai à ma droite une porte-fenêtre qui s’ouvre dans ma chambre, car j’ai une chambre, et cette chambre a une porte. À ma gauche j’ai la baie. Sous mon balcon sont amarrés deux navires, dont un vieux, dans lequel travaille un matelot bayonnais qui chante du matin au soir. Devant moi, à deux encablures, un autre navire tout neuf et très beau qui va partir pour les Indes. Au delà de ce navire, la vieille tour démantelée, le groupe de maisons qu’on appelle el otro Pasage, et la triple croupe d’une montagne. Tout autour de la baie, un large demi-cercle de collines dont les ondulations vont se perdre à l’horizon et que dominent les faîtes décharnés du mont Arun.

La baie est égayée par les nacelles des bateleras qui vont et viennent sans