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de bayonne à saint-sébastien.


29 juillet.

Je suis parti de Bayonne au soleil levant. La route est charmante ; elle court sur un haut plateau, ayant Biarritz à droite et la mer à l’horizon. Plus près, une montagne ; plus près encore, une grande mare salée et verte. Un enfant tout nu y fait boire une vache. Le paysage est magnifique ; ciel bleu, mer bleue, soleil éclatant. Du haut d’une colline un âne regarde tout cela

Dans le mol abandon
D’un mandarin lettré qui mange du chardon.

Un joli châtelet Louis XIII, le dernier qu’ait la France de ce côté au midi.

À Bidart, on change de chevaux. Une sorte d’idole bizarre à la porte de l’église, vénérée à présent comme autrefois. La destinée de ce caillou est d’être adoré : dieu pour les payens, saint pour les chrétiens. Il faut des fétiches à qui ne pense pas.

Puis Saint-Jean-de-Luz, village cahoté dans les anfractuosités d’une montagne. Bras de mer dans les sables. Flaques d’eau glauque qui sent le poisson ; laveuses. Air de joie. Un petit hôtel à tourelles dans le genre de celle de l’hôtel d’Angoulême au Marais, sans doute bâti pour Mazarin à l’époque du mariage de Louis XIV.

La Bidassoa, jolie rivière à nom basque, qui semble faire la frontière de deux langues comme de deux pays et garder la neutralité entre le français et l’espagnol.


Je traverse le pont. À l’extrémité méridionale la voiture s’arrête. On demande les passeports. Un soldat en pantalon de toile déchirée et en veste de vert rapiécée de bleu au coude et au collet apparaît à la portière. C’est la sentinelle ; je suis en Espagne. Me voici dans le pays où l’on prononce b pour v ; ce dont s’extasiait cet ivrogne de Scaliger : Felices populi, s’écriait-il, quibus vivere est bibere.

Il n’y a pas de faisans dans l’île des Faisans, qui n’est qu’une façon de plateau vert. Une vache et trois canards représentent les faisans ; comparses loués sans doute pour faire ce rôle à la satisfaction des passants.

C’est la règle générale. À Paris, au Marais, il n’y a pas de marais ; rue