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breuse et si importune dans sa curiosité méridionale que Napoléon doubla le pas. Les pauvres Bourbons essoufflés le suivaient à grand’peine.

L’empereur arriva au canot du brigantin d’une marche si précipitée qu’en y entrant Joséphine, voulant saisir en hâte la main que lui tendait le capitaine du navire, tomba dans l’eau jusqu’aux genoux. En toute autre circonstance elle n’aurait fait qu’en rire. — C’eût été pour elle, me disait en me contant la chose Mme la duchesse de C***, une occasion de montrer sa jambe, qu’elle avait charmante. Cette fois, on remarqua qu’elle secoua la tête tristement. Le présage était mauvais.

Tout ce qui assistait à cette aventure a fait une triste fin. Napoléon est mort proscrit ; Joséphine est morte répudiée ; Charles IV et sa femme sont morts détrônés. Quant à ceux qui étaient alors de jeunes princes, l’un est mort, Ferdinand VII ; l’autre, don Carlos, est prisonnier. Le brigantin qu’avait monté l’empereur s’est perdu deux ans après, corps et biens, sous le cap Ferret dans la baie d’Arcachon ; le capitaine qui avait donné la main à l’impératrice, et qui s’appelait Lafon, a été condamné à mort pour ce fait, et fusillé. Enfin le château de Marrac, où Napoléon avait logé, transformé successivement en caserne et en séminaire, a disparu dans un incendie. En 1820, pendant une nuit d’orage, une main, restée inconnue, y mit le feu aux quatre coins.

Bayonne. Le château-vieux.
26 juillet, 2 heures après-midi. Ciel gris.