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gondoles, calèches, coupés, omnibus. J’avais à peine jeté un coup d’œil sur cette cohue d’attelages qu’une autre cohue m’entourait déjà. C’étaient les cochers. En un moment je fus assourdi. Toutes les voix, tous les accents, tous les patois, tous les jurons et toutes les offres à la fois.

L’un me prit le bras droit :

— Monsieur, je suis le cocher de monsieur Castex ; montez dans le coupé; une place pour quinze sous. L’autre me prit le bras gauche : — Monsieur, je suis Ruspil ; j’ai aussi un coupé ; une place pour douze sous. Un troisième me barra le chemin : — Monsieur, c’est moi Anatol. Voilà ma calèche ; je vous mène pour dix sous.

Un quatrième me parlait dans les oreilles :

— Monsieur, venez avec Momus ; je suis Momus ; ventre à terre à Biarritz pour six sous !

— Cinq sous ! criaient d’autres têtes autour de moi.

— Voyez, monsieur, la jolie voiture : la Sultane de Biarritz ! une place pour cinq sous !

Le premier qui m’avait parlé et qui me tenait le bras droit domina enfin tout ce vacarme :

— Monsieur, c’est moi qui vous ai parlé le premier. Je vous demande la préférence.

— Il vous demande quinze sous ! crièrent les autres cochers.

— Monsieur, reprit l’homme froidement, je vous demande trois sous.

Il se fit un grand silence.

— J’ai parlé à monsieur le premier, ajouta l’homme.

Puis, profitant de la stupeur des autres combattants, il ouvrit vivement la portière de son coupé, m’y poussa avant que j’eusse le temps de me reconnaître, referma le coupé, monta sur son siège, et partit au galop. Son omnibus était plein. Il semblait qu’il n’attendît plus que moi.

La voiture était toute neuve et fort bonne ; les chevaux excellents. En moins d’une demi-heure, nous étions à Biarritz.

Arrivé là, ne voulant pas abuser de ma position, je tirai quinze sous de ma bourse et je les donnai au cocher. J’allais m’éloigner. Il me retint par le bras :

— Monsieur, me dit-il, ce n’est que trois sous.

— Bah ! repris-je, vous m’avez dit quinze sous d’abord. Ce sera quinze sous.

— Non pas, monsieur, j’ai dit que je vous mènerais pour trois sous. C’est trois sous.

Il me rendit le surplus et me força presque de le recevoir.

— Pardieu, disais-je en m’en allant, voilà un honnête homme.

Les autres voyageurs n’avaient, comme moi, donné que trois sous.

Après m’être promené tout le jour sur la plage, le soir venu, je songeai