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cavernes croît toute une botanique curieuse et presque inédite, l’astragale de Bayonne, l’œillet gaulois, le lin de mer, le rosier à feuilles de pimprenelle, le muflier à feuilles de thym.

Il y a des anses étroites où de pauvres pêcheurs, accroupis autour d’une vieille chaloupe, dépècent et vident, au bruit assourdissant de la marée qui monte ou descend dans les écueils, le poisson qu’ils ont pêché la nuit. Les jeunes filles, pieds nus, vont laver dans la vague les peaux des chiens de mer, et, chaque fois que la mer blanche d’écume monte brusquement jusqu’à elles, comme un lion qui s’irrite et se retourne, elles relèvent leur jupe et reculent avec de grands éclats de rire.

On se baigne à Biarritz comme à Dieppe, comme au Havre, comme au Tréport ; mais avec je ne sais quelle liberté que ce beau ciel inspire et que ce doux climat tolère. Des femmes, coiffées du dernier chapeau venu de Paris, enveloppées d’un grand châle de la tête aux pieds, un voile de dentelle sur le visage, entrent en baissant les yeux dans une de ces baraques de toile dont la grève est semée ; un moment après, elles en sortent, jambes nues, vêtues d’une simple chemise de laine brune qui souvent descend à peine au-dessous du genou, et elles courent en riant se jeter à la mer. Cette liberté, mêlée de la joie de l’homme et de la grandeur du ciel, a sa grâce.

Les filles du village et les jolies grisettes de Bayonne se baignent avec des chemises de serge, souvent fort trouées, sans trop se soucier de ce que les trous montrent et de ce que les chemises cachent.

Le second jour que j’allai à Biarritz, comme je me promenais à la marée basse au milieu des grottes, cherchant des coquillages et effarouchant les crabes qui fuyaient obliquement et s’enfonçaient dans le sable, j’entendis une voix qui sortait de derrière un rocher et qui chantait le couplet que voici en patoisant quelque peu, mais pas assez pour m’empêcher de distinguer les paroles :

Gastibelza, l’homme à la carabine.
Chantait ainsi :
Quelqu’un a-t-il connu doña Sabine,
Quelqu’un d’ici ?
Dansez, chantez, villageois, la nuit gagne
Le mont Falù.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

C’était une voix de femme. Je tournai le rocher. La chanteuse était une baigneuse. Une belle jeune fille qui nageait vêtue d’une chemise blanche et d’un jupon court dans une petite crique fermée par deux écueils à l’entrée d’une grotte. Ses habits de paysanne gisaient sur le sable au fond de la grotte. En m’apercevant, elle sortit à moitié de l’eau et se mit à chanter sa