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biarritz.


25 juillet.

Vous connaissez, mon ami, les trois points de la côte normande qui m’agréent le mieux, le Bourg-d’Ault, le Tréport et Étretat ; Étretat avec ses arches immenses taillées par la vague dans la falaise, le Tréport avec sa vieille église, sa vieille croix de pierre et son vieux port où fourmillent les bateaux pêcheurs, le Bourg-d’Ault avec sa grande rue gothique qui aboutit brusquement à la haute mer. Eh bien, rangez désormais Biarritz avec le Tréport, Étretat et le Bourg-d’Ault parmi les lieux que je choisirais pour le plaisir de mes yeux, comme parle Fénelon.

Je ne sache point d’endroit plus charmant et plus magnifique que Biarritz. Il n’y a pas d’arbres, disent les gens qui critiquent tout, même le bon Dieu dans ce qu’il a fait de plus beau. Mais il faut savoir choisir : ou l’océan, ou la forêt. Le vent de mer rase les arbres.

Biarritz est un village blanc à toits roux et à contrevents verts posé sur des croupes de gazon et de bruyère, dont il suit les ondulations. On sort du village, on descend la dune, le sable s’écroule sous vos talons, et tout à coup on se trouve sur une grève douce et unie au milieu d’un labyrinthe inextricable de rochers, de chambres, d’arcades, de grottes et de cavernes, étrange architecture jetée pêle-mêle au milieu des flots, que le ciel remplit d’azur, le soleil de lumière et d’ombre, la mer d’écume, le vent de bruit.

Je n’ai vu nulle part le vieux Neptune ruiner la vieille Cybèle avec plus de puissance, de gaieté et de grandeur. Toute cette côte est pleine de rumeurs. La mer de Gascogne la ronge et la déchire, et prolonge dans les récifs ses immenses murmures. Pourtant je n ai jamais erré sur cette grève déserte, à quelque heure que ce fût, sans qu’une grande paix me montât au cœur. Les tumultes de la nature ne troublent pas la solitude.

Vous ne sauriez vous figurer tout ce qui vit, palpite et végète dans ce désordre apparent d’un rivage écroulé. Une croûte de coquillages vivants recouvre les roches ; les zoophytes et les mollusques nagent et flottent, transparents eux-mêmes, dans la transparence de la vague. L’eau filtre goutte à goutte et pleut en larges perles de la voûte des grottes ; les crabes et les limaces rampent parmi les varechs et les goëmons, lesquels dessinent sur le sable mouillé la forme des lames qui les ont apportés. Au-dessus des