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Où est-elle ? que fait-elle ? est-elle morte ? vit-elle encore ? Si elle vit, elle est mariée sans doute, elle a des enfants. Elle est veuve peut-être, et vieillit à son tour. Comment se peut-il que la beauté s’en aille et que la femme reste ? Est-ce que la femme d’à présent est bien le même être que la jeune fille d’autrefois ?

Peut-être viens-je de la rencontrer ? Peut-être est-elle la femme quelconque à laquelle j’ai demandé mon chemin tout à l’heure, et qui m’a regardé m’éloigner comme un étranger ?

Qu’il y a une amère tristesse dans tout ceci ! Nous ne sommes donc que des ombres. Nous passons les uns auprès des autres, et nous nous effaçons comme des fumées dans le ciel profond et bleu de l’éternité. Les hommes sont dans l’espace ce que les heures sont dans le temps. Quand ils ont sonné, ils s’évanouissent. Où va notre jeunesse ? où va notre enfance, hélas ! Où est la belle jeune fille de 1812 ? où est l’enfant que j’étais alors ? Nous nous touchions dans ce temps-là, et maintenant nous nous touchons encore peut-être, et il y a un abîme entre nous. La mémoire, ce pont du passé, est brisée entre elle et moi. Elle ne connaîtrait pas mon visage, et je ne reconnaîtrais pas le son de sa voix. Elle ne sait plus mon nom, et je ne sais pas le sien.


27 juillet.

J’ai peu de chose à vous dire de Bayonne. La ville est on ne peut plus gracieusement située, au milieu des collines vertes, sur le confluent de la Nive et de l’Adour, qui fait là une petite Gironde. Mais de cette jolie ville et de ce beau lieu il a fallu faire une citadelle.

Malheur aux paysages qu’on juge à propos de fortifier ! Je l’ai déjà dit une fois, et je ne puis m’empêcher de le redire : le triste ravin qu’un fossé en zigzag ! la laide colline qu’une escarpe avec sa contrescarpe ! C’est un