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25 juillet.

Le pont de Bordeaux est la coquetterie de la ville. Il y a toujours sur le pont quatre hommes occupés à rejointoyer le pavé et à fourbir le trottoir. En revanche, les églises sont fort tristement délabrées.

Pourtant n’est-il pas vrai que tout dans une église mérite religion, jusqu’aux pierres ? C’est ce qu’oublient volontiers les prêtres, qui sont les premiers démolisseurs.

Les deux principales églises de Bordeaux, Saint-André et Saint-Michel, ont au lieu de clochers des campaniles isolés de l’édifice principal comme à Venise et à Pise.

Le campanile de Saint-André, qui est la cathédrale, est une assez belle tour dont la forme rappelle la tour de Beurre de Rouen et qu’on nomme le Peyberland, du nom de l’archevêque Pierre Berland, lequel vivait en 1430. La cathédrale a en outre les deux flèches hardies et percées à jour dont je vous ai déjà parlé. L’église, commencée au onzième siècle, comme l’attestent les piliers romans de la nef, a été laissée là pendant trois siècles, pour être reprise sous Charles VII et terminée sous Charles VIII. La ravissante époque de Louis XII y a mis la dernière main et a construit, à l’extrémité opposée à l’abside, un porche exquis qui supporte les orgues. Les deux grands bas-reliefs appliqués à la muraille sous ce porche sont deux tableaux de pierre du plus beau style, et on pourrait presque dire, tant le modelé en est puissant, de la plus magnifique couleur. Dans le tableau de gauche l’aigle et le lion adorent le Christ avec un regard profond et intelligent, comme il convient que les génies adorent Dieu.

Le portail, quoique simplement latéral, est d’une grande beauté ; mais j’ai hâte de vous parler d’un vieux cloître en ruine qui accoste la cathédrale au midi et où je suis entré par hasard.

Rien n’est plus triste et plus charmant, plus imposant et plus abject. Figurez-vous cela. De sombres galeries percées d’ogives à fenestrages flamboyants ; un treillis de bois sur ces ogives ; le cloître transformé en hangar, toutes les dalles dépavées, la poussière et les toiles d’araignées partout ; des latrines dans une cour voisine ; des lampadaires de cuivre rouillé, des croix noires, des sabliers d’argent, toute la défroque des corbillards et des croque-morts dans les coins obscurs ; et, sous ces faux cénotaphes de bois et de toile peinte, de vrais tombeaux qu’on entrevoit avec leurs sévères statues trop bien couchées pour qu’elles puissent se relever et trop bien endormies pour