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le rhône. — saint-andéol.


Sur le Rhône, 12 octobre, 2 heures après-midi.

Comme je compte, mon Adèle, trouver une bonne lettre de toi à Chalon, je vais t’en écrire moi-même une bien bonne. Après avoir visité Toulon, je suis allé de Marseille à Nice par Draguignan et Antibes. J’étais tellement pressé de revenir près de toi que je n’ai fait que toucher Nice. Arrivé le 5 à 4 heures du soir, je suis reparti le 6 à 5 heures du matin. Une visite au golfe Juan, à l’île Sainte-Marguerite et à l’île Saint-Honorat m’a retenu deux jours à Cannes. Avant-hier 10 j’ai visité Fréjus et j’ai gagné Aix en passant une nuit en malle-poste. Hier, autre nuit en voiture et ce matin à 5 heures je suis débarqué à Avignon. Maintenant je suis dans le bateau à vapeur l’Aigle et je vais remonter le Rhône jusqu’à Lyon. Toutes les diligences et les malles-postes sont encombrées. Chacun se hâte comme moi de regagner Paris.

Je naviguerai aujourd’hui 12, demain 13, après-demain 14 et 15, et mercredi 16 je serai à Lyon. Le lendemain 17 je compte être à Chalon-sur-Saône où tes lettres que j’espère me donnent tant d’impatience d’arriver.

À Chalon je ne séjournerai que le temps d’aller à la poste, et si je trouve une place dans une diligence quelconque, fût-ce sur l’impériale, je pense toujours pouvoir être à Paris le 19 ou le 20 au plus tard. — Tu vois mon itinéraire, je crois l’avoir bien réglé ; il n’y a que le temps qui puisse le déranger. — Il est devenu tout à coup mauvais en ce moment, un orage s’est jeté sur ce beau pays, où il n’avait pas plu depuis huit mois. Dimanche dernier, Marseille était sous une trombe ; la Canebière était un lac ; à Avignon le Rhône est entré dans les rues. Il y avait hier encore trois pieds d’eau de trop pour que les bateaux à vapeur pussent passer sous le pont ; ce matin le Rhône a un peu baissé et ils ont pu venir s’amarrer sous le quai. Celui où je suis va partir dans une heure, et le fleuve est si rapide que le capitaine ne compte guère pouvoir dépasser aujourd’hui le pont Saint-Esprit. Il faudra passer la nuit dans le bateau sur un banc. Jouissance médiocre. — Mais, si j’avais attendu une place dans les diligences, je courais risque de rester huit jours à Avignon. Il y a quinze jours, je descendais le Rhône comme une flèche, je vais le remonter comme une tortue. L’envers des choses rapides est toujours lent.

J’emploie comme toujours les heures d’attente à t’écrire. J’ai dérangé un tas d’oranges et de grenades qui était sur la table de la cabine ; j’ai mis dans