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vendue, la domesticité momentanée et spoliatrice, l’auberge en un mot, et qu’il n’expérimente jamais la maison cordiale, gratuite, amicale et bienveillante, si vous voulez à toute force dormir, boire et manger dans cette cité-spectre qu’on appelle Avignon, si vous lui manquez de respect à ce point, voici ce qui vous arrivera, voici ce qui m’est arrive.

Vous abordez, le bateau touche le quai, on jette la planche, vous prenez votre sac de nuit (je suppose que vous savez voyager et que vous ne vous embarrassez que d’un sac de nuit), vous donnez votre carte et vous sautez à terre. Vous êtes leste, joyeux, épanoui, vous regardez les ogives des tours, et vous n’avez pas même vu les horribles figures qui bordaient le quai et qui vous attendaient à votre descente. Vous voilà parmi elles cependant, elles vous entourent, elles vous tiraillent, elles vous assourdissent, et vous êtes bien obligé de vous apercevoir que vous êtes au milieu des portefaix d’Avignon. Or, vous allez savoir ce que c’est que les portefaix d’Avignon.

Ce sont des espèces de géants mal taillés, laids, trapus, robustes, carrés, velus, odieux à voir. Ils s’emparent de vous, vous coudoient en tumulte et vous disent avec un affreux patois et un affreux sourire obligeant : — Monsieur a-t-il du bagage ? — Vous répondez innocemment oui, et vous montrez votre sac de nuit. — Que ça ! répliquent les colosses charabia, c’est bon pour un vieillard ou pour un enfant. Et ils vous considèrent, vous et votre bissac, avec un inexprimable dédain.

Comme il est toujours désagréable de traverser une ville, sans savoir où l’on va, avec une sacoche sur l’épaule, vous attendez qu’un de ces drôles prenne votre bagage. Personne n’y touche. Vous cherchez des yeux un enfant ou un vieillard. Aucun ne se présente. Vous prenez votre parti, et vous décampez bravement par la ville cherchant un gîte, votre paquet sous le bras. À peine avez-vous fait trois pas qu’un des géants court à vous, vous arrache votre fardeau et se met à marcher devant vous. Vous le suivez. En deux minutes il est à la porte d’un hôtel.

Si c’est l’hôtel du Palais-Royal, l’hôtelier vous examine de la tête aux pieds, reconnaît que vous avez une casquette sur la tête, des bottes poudreuses aux pieds, un sac de nuit pour tout bagage, juge d’un coup d’œil le gibier maigre et méprisable, et vous déclare qu’il n’a plus de chambre. Notez que son auberge est déserte. Si c’est l’hôtel de l’Europe, qui est en face, le maître vous admet et vous conduit silencieusement à une chambre quelconque.

Votre portefaix est toujours là. Il faut le payer. Il peut arriver que les innombrables pourboires de la journée aient épuisé votre monnaie et qu’il ne vous reste plus que des pièces d’or dans votre bourse. Vous vous tournez tout naturellement vers l’hôtelier avignonnais et vous dites en lui montrant