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Montanvert a environ deux mille cinq cents pieds, le Rigi environ cinq mille.

L’ascension du Rigi par Weggis dure trois heures et peut se diviser en quatre zones.

D’abord un chemin sous des bois, dont les branches basses accrochent les dentelles des voyageuses anglaises, et où de jolies petites filles, pieds nus, vous offrent des poires et des pêches. Ces bois sont mêlés de vergers ; de temps en temps, le bleu du lac perce le vert des arbres, et, entre deux prunes, on voit une barque. Puis un sentier, fort âpre par endroits, qui gravit cet escarpement qu’ont presque toutes les montagnes entre leur base et leur sommet ; puis une pente de gazon où le chemin s’élargit à l’aise et qui sépare la maison dite les bains froids de la maison dite le péage : puis, du péage jusqu’au sommet (kulum), un sentier, assez rude çà et là, d’où l’on revoit Lucerne et que borde un précipice au fond duquel est Küssnacht.

Le trajet de chacune des deux premières zones dure à peu près une heure ; le trajet de chacune des dernières dure une demi-heure.

La première zone n’est qu’une promenade agréable, la seconde est assez pénible. Il faisait très beau, le soleil chauffait à plomb les parois blanches de la montagne le long desquelles grimpait le sentier, soutenu de place en place par des échafaudages et des maçonneries. La vieille muraille diluvienne est égrenée par les pluies et les torrents, les cailloux roulés couvrent le chemin, et j’avançais assez lentement sur les têtes de clous de la brèche. De temps en temps je rencontrais une méchante peinture accrochée au mur de roche et représentant une des stations de la voie douloureuse.

À mi-côte, il y a une chapelle ornée d’un mendiant, et, deux cents pas plus haut, un grand rocher détaché de la montagne qu’ils appellent la pierre-tour et sous lequel passe la route. Beaucoup d’ombre froide et un peu d’eau fraîche tombe de cette voûte sur le passant trempé de sueur ; on a mis là un banc traître sur lequel les pleurésies sont assises.

La pierre-tour est du reste curieuse à voir. Elle est couronnée d’une plate-forme inaccessible sur laquelle de hauts sapins ont poussé paisiblement. À quelques pas de là tombe dans le précipice une belle cascade qui rugit en avril et que l’été réduit à quelques cheveux d’argent.

Arrivé au sommet de l’escarpement, j’étais essoufflé ; je me suis assis quelques instants sur l’herbe ; de gros nuages sombres avaient caché le soleil, toute habitation humaine avait disparu, l’ombre qui tombait du ciel donnait à cet immense paysage désert je ne sais quoi de sinistre ; le lac était sous mes pieds avec ses montagnes et ses caps, dont je distinguais nettement les hanches, les côtes et les longs cous, et je croyais voir un troupeau énorme