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16 septembre.

Il est six heures du matin. Il a plu à verse toute la nuit. Le soleil se lève dans un tas de brume diffuse derrière le Rigi. Toutes les montagnes voisines sont couvertes de neige. Le Pilate est magnifique ainsi avec un rayon de l’aube sur son front blanc. Les barques à quatre rames qui commencent à courir là-bas sur le lac ont l’air de grandes araignées d’eau. J’entends les filles de Lucerne qui vont au marché passer sur le pont de bois de Kappel. Les batelières rient et s’appellent. Les galériens, le carcan et la chaîne au cou, balaient le débarcadère. Les poules d’eau du lac font leur toilette sous ma fenêtre.


— notes. —


16 septembre.

Arsenal de Lucerne. — Canons battus de la pluie à la porte.

Première salle : paysan en habit de Sempach. Pavillon turc, occupant presque tout le plafond de la salle basse. — Salles supérieures : beaux vitraux des seizième et dix-septième siècles figurant les armes des cantons à toutes les fenêtres. Piques. Pertuisanes. À en croire le guide, tout est de la bataille de Sempach. Bottes de flèches de Marignan. Figures grotesquement peintes de Winckelried, de l’avoyer Gundoldingen et du duc d’Autriche. — Cotte de mailles du duc. Masse d’armes de Winckelried, à la main du bonhomme de bois. Collier pour l’avoyer, collier pour les paysans qu’on prendrait. J’ai essayé le collier destiné à l’avoyer. J’ai cherché vainement la bannière de Lucerne teinte de son sang. Arbalète de Guillaume Tell ; une corne de bœuf forme l’arc. Fausse probablement. — Canne de Voltaire. — Plume de Fontainebleau.

Dans un coin, costume des gardes-suisses de l’Empereur. Livrée. Il y a loin de là au sayon de Sempach. Le suisse, étrange espèce d’homme moitié Spartiate, moitié condottiere, se souciant plus de la dignité de la montagne que de la dignité du montagnard, tenant à la virginité de la neige, vendant sa personne, acceptant une cage, esclave et content, pourvu qu’il sente son nid libre.