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calais. — boulogne.


Bernay, 4 septembre, 5 heures du soir.

Je commence, chère amie, par te remercier encore, car tes lettres et tout le bon petit entourage qui les accompagnait me font société depuis trois jours. Je les ai relues toutes bien des fois, et il me semblait que je revoyais tous vos bons et gracieux visages. C’était comme une charmante apparition de la maison qui galopait avec moi sur la grande route. Je te remercie, mon Adèle. J’ai écrit hier à ma Didi, elle aura ma lettre demain, à peu près vers cette heure-ci.

Puisque mon itinéraire vous amuse, je continuerai de t’envoyer cette odyssée chant par chant. Elle touche à sa fin et je t’assure que j’en suis charmé. Mon Ithaque est au bout.

Ma dernière lettre fermée, j’ai quitté rapidement Dunkerque. Je n’ai vu Gravelines que la nuit, mais la ville m’a paru de médiocre intérêt. Adieu les belles vieilles rues flamandes. Plus de pignons, plus de tourelles, plus de clochers. Le toit des maisons de Gravelines et la tour de l’église faisaient une silhouette misérable sur le ciel. C’est un relais pour les messageries. Je m’étais endormi sur l’impériale de la diligence ; la secousse de la voiture qui s’arrêtait m’a réveillé. Il pleuvait. Les lanternes des postillons jetaient de belles lueurs sous les pieds des chevaux.

Au petit jour, j’étais à Calais. Je m’y suis arrêté pour déjeuner, et j’ai repris là ma vie de petites journées et de petites voitures.

Calais est une de ces villes qui s’usent vite ; aussi lui met-on tous les jours des pièces de maisons neuves et de façades blanches. En somme, la ville n’a plus rien de sa vieille physionomie. Le beffroi est pourtant un assez amusant galimatias de petits clochetons, de petits pilastres et de petits arcs-boutants. Il en sort un petit carillon nain qui fait son duo comme il peut avec la grande voix de l’océan. L’église, qui est gothique et d’une assez belle époque, aurait du caractère si le clocher ne faisait l’effet d’une lorgnette à moitié rentrée en elle-même. Elle ne contient rien, hors un tableau remarquable de la Flagellation et un maître-autel en marbre qui est du dix-septième siècle par la date et du seizième par le style.

Je n’ai pas visité la citadelle de Calais, ni celle de Dunkerque. Dans mon voyage, je n’ai visité aucune citadelle, quoique la route en fût infestée. Jusqu’au jour où je ferai la guerre, une citadelle ne sera pour moi qu’une colline déformée, coupée au cordeau, taillée à pans droits, murée et