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les dunes.


Cinq heure du soir, 1er septembre, Dunkerque.

Chère amie, je suis à Dunkerque et je n’ai pas encore tes lettres. Je suis arrivé, le bureau des lettres restantes était fermé, il ne s’ouvrira que dans deux heures. Juge de mon impatience. Pour tromper cet ennui dont je suis plein, je t’écris. Ce sera une autre manière de m’occuper de toi, moins charmante pour moi, mais aussi douce.

Mes aventures ont commencé ce matin. Depuis Gand (ma dernière apparition à Gand, cela va sans dire) je faisais route dans une manière de cabriolet-coucou dont le cocher, pauvre diable de picard laissé à Gand par des anglais, était charmé de s’en revenir en France avec un voyageur. Moi, la chose m’accommodait au mieux. Les diligences et la poste vont trop vite ; les petites journées, les lents voyages, les chemins de traverse, les itinéraires improvisés par la fantaisie, selon l’église ou la tour qu’on aperçoit à l’horizon, voilà ce qu’il me faut. Je fais, aussi moi, ma course au clocher, mais à ma façon.

Je cheminais donc paisiblement avec mon cocher picard, espèce de personnage grotesque assez amusant, dont je te parlerai peut-être plus au long si le papier ne me manque pas un beau jour comme la terre à Regnard dans son voyage de Laponie. Je comptais bien rentrer en France en cet équipage, mais à Furnes, je ne sais quel accident est arrive au coucou qui exigeait un grand jour de réparation. J’avais trop hâte d’être à Dunkerque pour attendre. Je me suis décidé à quitter mon picard et à chercher place dans la redoutable patache que les naturels du pays appellent diligence, car il n’y a pas encore de grande route entre Furnes et Dunkerque ; on la fait en ce moment. — Autre événement. « La diligence » était pleine. Aucun moyen d’y pénétrer. Le cabriolet était envahi, et les six places de l’intérieur occupées par six derrières flamands des mieux conditionnés. Comment faire ? On m’offrait bien une vieille chaise pour courir la poste ; mais, pour courir la poste, il faut deux choses, une chaise d’abord, un chemin ensuite ; la chaise était bien là, mais on ne pouvait m’achever le chemin que dans deux mois. Or, en regardant l’horrible enchevêtrement de fondrières, de ravins, de mares, de puits et de pièges à loup qu’ils appellent en ce moment la route, on ne peut comprendre comment cette phrase magnifique : courir la poste, a pu germer dans un pareil sillon.

Mon parti a été bientôt pris. Je ne demandais pas mieux que de marcher,