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anvers.


Anvers, 22 août, 4 heures du soir.

Je viens, mon Adèle, de relire ta lettre du 14, bien heureux de la trouver si bonne, et bien triste de la trouver seule. C’est une vive joie pour moi de savoir qu’il y a du bonheur autour de toi. La lettre de ma Didine est bien gentille aussi, et je compte en trouver encore une, et plusieurs de toi, à Dunkerque. La poste de France arrive ici à quatre heures et demie. Je ne quitterai pas Anvers sans aller y voir encore une fois. Peut-être une bonne lettre de toi m’arrivera-t-elle. Elle serait bien venue.

Je suis arrivé hier ici à dix heures du matin. Depuis ce moment je cours d’église en église, de chapelle en chapelle, de tableau en tableau, de Rubens en Van Dyck. Je suis épuisé d’admiration et de fatigue. Ajoute à cela que je suis monté sur le clocher, six cent seize marches, quatre cent soixante-deux pieds, la plus haute flèche du monde après Strasbourg. C’est tout à la fois un édifice gigantesque et un bijou miraculeux. Un titan pourrait y habiter, une femme voudrait l’avoir à son cou.

J’ai vu de là tout Anvers, une ville gothique comme je les aime, et l’Escaut, et la mer, et la citadelle, et la fameuse lunette Saint-Laurent. C’est une pointe de gazon avec deux petites maisons rouges au bout.

Cette ville est admirable. Des peintures dans les églises, des sculptures sur les maisons, Rubens dans les chapelles, Verbruggen sur les façades ; l’art y fourmille. On recule pour admirer le portail de l’église, on se heurte à quelque chose, on regarde, c’est un puits : un puits magnifique, en pierre sculptée et en fer ciselé, avec des statuettes et des figurines. De qui est ce puits ? De Quentin Metzis. On se retourne. Qu’est-ce que c’est que cet immense édifice avec cette belle devanture de la Renaissance ? C’est l’hôtel de ville. On fait deux pas. Qui a dessiné cette grande façade rococo si flamblante et si riche ? C’est Rubens. Toute la ville est ainsi.

J’excepte le quartier neuf, qui est bête ici comme partout ailleurs et qui prend des airs de rue de Rivoli.

Je suis réconcilié avec les chemins de fer ; c’est décidément très beau. Le premier que j’avais vu n’était qu’un ignoble chemin de fabriqué. J’ai fait hier la course d’Anvers à Bruxelles et le retour. Je partais à quatre heures dix minutes et j’étais revenu à huit heures un quart, ayant dans l’intervalle passé cinq quarts d’heure à Bruxelles et fait vingt-trois lieues de France.

C’est un mouvement magnifique et qu’il faut avoir senti pour s’en rendre