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LE RHIN.

d’Allemagne, comme roi de France et comme roi des lombards, la première, la couronne impériale, est à Vienne ; la seconde, la couronne de France, est à Reims ; la troisième, la couronne de fer, est à Milan[1].

Au sortir de la sacristie, le bedeau m’a confié au suisse, qui s’est mis à parcourir l’église devant moi, m’ouvrant de temps en temps de mornes armoires derrière lesquelles éclataient tout à coup des magnificences.

Ainsi la chaire, qui a tout l’aspect d’une chaire de village, se débarrasse de sa hideuse chrysalide de bois roussâtre et vous apparaît subitement comme une splendide tour de vermeil. C’est une chaire, prodige de la ciselure et de l’orfévrerie du onzième siècle, donnée par l’empereur Henri II à la Chapelle. Des ivoires byzantins profondément fouillés, une coupe de cristal de roche avec sa soucoupe, un onyx monstrueux de neuf pouces de long, sont incrustés dans cette cuirasse d’or qui entoure le prêtre parlant au nom de Dieu, et dont la lame antérieure représente Charlemagne portant la Chapelle d’Aix sur son bras.

Cette chaire est placée à l’angle du chœur, lequel occupe la merveilleuse abside de 1353. Toutes les verrières de couleur ont disparu. Les lancettes sont blanches du haut en bas. La riche tombe d’Othon III, fondateur du dôme, détruite en 1794, est remplacée par une pierre plate qui en marque l’emplacement à l’entrée du chœur. Un orgue donné par l’impératrice Joséphine affiche près de l’admirable voûte du quatorzième siècle le mauvais style de 1804. Voûte, piliers, chapiteaux, colonnettes, statues, tout le chœur est badigeonné.

Au milieu de cette abside déshonorée, le bec ouvert, l’œil irrité, les ailes à demi déployées, s’effare et frissonne l’aigle de bronze d’Othon III, transformé en lutrin, et tout indigné de porter le livre du plain-chant, lui qui a le globe du monde sous ses pieds.

On aurait dû pourtant respecter cet aigle. Quand Napoléon visita la Chapelle, au monde que portait dans ses serres l’aigle d’Othon on ajouta la foudre que j’ai vue encore aujourd’hui fixée aux deux côtés du globe impérial.

Le suisse dévisse ce tonnerre à la demande des curieux.

Sur le dos de cet aigle, comme par un triste et ironique pressentiment, le sculpteur du dixième siècle avait étendu une chauve-souris d’airain à face humaine, qui est là comme clouée et sur laquelle s’appuie maintenant le livre du lutrin.

À droite de l’autel est scellé le cœur de M. Antoine Berdolet, premier et dernier évêque d’Aix-la-Chapelle. Car cette église n’a jamais eu qu’un

  1. À Monza, près Milan.